A . –  Définitions

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6. – Définition générale de la corruption. - Dans l'acception admise par le langage courant et par la terminologie juridique, la corruption est l'agissement par lequel une personne investie d'une fonction déterminée, publique ou privée, sollicite ou accepte un don, une offre ou une promesse en vue d'accomplir, retarder ou omettre d'accomplir un acte entrant, d'une façon directe ou indirecte, dans le cadre de ses fonctions. La corruption implique donc la violation, par le coupable, des devoirs de sa charge ; comme l'ont écrit A. Chauveau et F. Hélie (Théorie du Code pénal, t. II, Marchal et Billard, 5 éd. 1872, n° 833), le trafic de l'emploi constitue donc une sorte d'abus de confiance au préjudice de celui, État, collectivité publique ou simple particulier, de qui l'on tient l'autorité ou les pouvoirs que l'on monnaye.

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7. – Le droit criminel français distingue deux sortes de corruption.

Il y a corruption passive, quand on examine la situation de la personne investie d'une fonction qu'elle tient de l'État, d'une autre collectivité publique et qui trafique de cette fonction en sollicitant ou en acceptant des dons ou des promesses (on dit qu'elle demande ou qu'elle accepte des  « pots-de-vin ») en vue d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir tel ou tel acte de sa fonction ou facilité par cette fonction : au coupable, on donne le nom de corrompu.

Une expression différente, celle de corruption active, désigne les agissements par lesquels un tiers obtient ou s'efforce d'obtenir, moyennant des dons ou des promesses, d'une personne chargée d'une fonction publique ou privée, qu'elle accomplisse, retarde ou s'abstienne d'accomplir ou de retarder un acte de sa fonction ou un acte facilité par cette fonction. Le coupable, ici, est appelé corrupteur.

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8. – À l'imitation de ce qui a lieu pour la corruption, on peut également distinguer dans le trafic d'influence un aspect passif et un aspect actif. Le trafic d'influence passif est imputable, soit à une personne exerçant une fonction publique, soit à une personne privée, qui, se prévalant d'une influence réelle ou supposée dont elle prétend disposer, sollicite ou accepte des dons, présents, offres ou promesses, en vue de faire obtenir au remettant des avantages ou faveurs de toute sorte, dont les pouvoirs publics sont prétendument les dispensateurs. Le trafic d'influence actif est le fait d'un tiers, qui offre une rémunération, soit à une personne exerçant une fonction publique, soit à un simple particulier, qu'il croit posséder une influence sur les pouvoirs publics, en vue d'obtenir de ces derniers des avantages ou des faveurs. Pourtant la pratique use moins souvent de ces deux expressions que, de son côté, le nouveau Code pénal n'a pas reprises malgré le parallèle qu'elles établissent avec la corruption.

199565B . –  Nature juridique des infractions de corruption et de trafic d'influence

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9. – Conception retenue par l'ancien Code pénal. - Les rédacteurs du Code pénal de 1810 avaient fait de la corruption, sous ses divers aspects, une infraction contre la chose publique.Cette conception avait prévalu également lorsque fut créée, en 1889, l'incrimination de trafic d'influence. C'est également à ce point de vue que s'est rallié, au moins en large partie, le nouveau Code pénal.

Mais cette façon de voir les choses n'a pas suffi à éviter que des difficultés n'apparaissent parfois, quand il faut distinguer la corruption et le trafic d'influence de certaines infractions contre les particuliers qui supposent, comme elle, une certaine pression morale ou une fraude (ainsi pour le chantage et l'escroquerie), ou même lorsqu'on veut ne pas la confondre avec des agissements relevant, eux aussi, du groupe des infractions contre l'administration publique (par exemple la concussion). Il importe donc de tracer les frontières qui séparent la corruption et le trafic d'influence d'infractions différentes.

1995651 ° Comparaison avec certaines infractions contre le patrimoine

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10. – La pratique révèle que la corruption et le trafic d'influence sont parfois fort proches des deux délits d'appropriation frauduleuse que sont l'escroquerie  (C. pén., art. 313-1er et s. nouveaux; C. pén., art. 405 ancien) et le chantage  (C. pén., art. 312-10 et s. nouveaux; C. pén., art. 400, al. 2 ancien). Il n'est pas toujours facile de bien séparer les divers types d'infractions.

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11. – Corruption et escroquerie. - Il importe d'abord de bien distinguer la corruption de l'escroquerie. Cette dernière suppose que le coupable a fait usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité ou qu'il a employé des manoeuvres frauduleuses, de façon à tromper la victime et à la déterminer à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. Partant de cette définition, il est aisé, dans la plupart des cas de découvrir la qualification qui doit être appliquée.

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12. – Prévalence de la qualification d'escroquerie. - On retiendra l'escroquerie et elle seule, lorsqu'un individu, faisant usage d'un faux nom, ou se prévalant faussement de la qualité de fonctionnaire ou d'une qualité assimilée, obtient la remise de fonds pour accomplir ou s'abstenir d'un acte qu'il prétend être un acte de la fonction qu'il usurpe. Même solution, lorsqu'il s'agit d'un individu effectivement titulaire de la fonction qu'il invoque et qui se fait payer pour accomplir ou omettre d'accomplir un acte qui n'entre pas dans cette fonction ni n'est facilité par elle  (V. infra n°  114 s., les difficultés auxquelles cette situation a donné lieu, au XIXe siècle, devant la Cour de cassation ; l'arrêt de Cass. ch. réunies, 31 mars 1827 : Bull. crim., n° 71, a fixé la jurisprudence dans le sens qui vient d'être indiqué, à propos d'un garde champêtre qui avait reçu de l'argent pour s'abstenir de dresser procès-verbal contre un chasseur trouvé, par lui, en délit sur un territoire situé en dehors de l'arrondissement pour lequel il était commissionné).

Dans les deux cas qui viennent d'être exposés, il serait inexact de parler de corruption : le coupable ne possède pas la qualité de fonctionnaire dont il se prévaut faussement, ni le pouvoir d'agir qu'il allègue ; il ne peut donc pas trafiquer d'une fonction à laquelle il est en réalité étranger.

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13. – Prévalence de la qualification de corruption. - Inversement, la qualification de corruption s'impose lorsque le fonctionnaire ou le salarié ont trafiqué de leur fonction ou de leur emploi, sans chercher à faire miroiter aux yeux de leurs victimes un pouvoir imaginaire. Le pouvoir qu'ils monnayent, ils le possèdent réellement et la corruption seule doit être relevée contre eux, même s'ils n'accomplissent pas l'acte pour lequel ils se sont fait payer ou agissent contrairement à la promesse d'abstention qu'ils ont formulée. On verra, en effet, que le délit de corruption est consommé dès que les sollicitations ont eu lieu, et qu'il est totalement indépendant de l'exécution du marché illicite.

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14. – Cumul de qualifications. - Voici plus embarrassant. Pour rendre plus insistante la demande d'une rémunération, la sollicitation émanée du fonctionnaire s'accompagne d'une véritable mise en scène comme on en voit dans de nombreux cas d'escroquerie ; ou bien encore, en plus des pouvoirs qu'il a et dont il offre de trafiquer, le fonctionnaire allègue de prétendues prérogatives qu'il accepte, si on agrée sa sollicitation, de ne pas mettre en oeuvre. En une telle hypothèse, il y a cumul réel d'infractions, et les faits doivent être retenus sous leur expression pénale la plus élevée, celle de corruption  (Cass. crim., 13 juill. 1934 : DH 1934, p. 510. – Le maire du Puy ayant ordonné la fermeture provisoire d'une maison de tolérance, le commissaire de police s'était fait remettre par la tenancière une somme d'argent, en lui promettant de ne pas aviser le ministère de l'Intérieur de l'existence de l'arrêté municipal de fermeture, encore qu'il y fût obligé, disait-il, par une circulaire  ministérielle qu'il avait exhibée à la tenancière sans cependant lui en lire le texte ; l'envoi de cet avis, ajoutait-il mensongèrement, entraînerait la fermeture obligatoire de la maison).

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15. – Escroquerie et trafic d'influence. - Même difficulté pour séparer l'escroquerie de cette forme particulière de vénalité qu'est le trafic d'influence. Si le coupable trafique d'une influence qu'il possède vraiment, on appliquera l'article 432-11  (autrefois art. 178) qui frappe cette infraction. Si, au contraire, l'influence est imaginaire, il semble que l'on devrait faire appel exclusivement à l'incrimination d'escroquerie ; malheureusement la situation est rendue complexe parce que, comme le texte ancien, l'article 432-11 réprime indistinctement le trafic d'une influence réelle ou supposée  (V. infra n°  125). On se trouve alors souvent en présence d'un cumul de qualifications, qu'il faut résoudre en appliquant la qualification la plus sévère, c'est-à-dire celle de trafic d'influence.

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16. – Corruption et chantage. - Lorsqu'aux manoeuvres frauduleuses, le coupable a préféré l'emploi de la contrainte morale, la corruption se rapproche du chantage. Cette infraction suppose la menace de révélations ou l'imputation de faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de la victime. Or certains actes accomplis par des fonctionnaires sont, par nature, révélateurs de faits qui peuvent ruiner la considération dont jouit la personne qu'ils visent : ainsi en va-t-il des procès-verbaux ou des rapports de police constatant des infractions.

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17. – Application pratique. - Supposons qu'un fonctionnaire de police se fasse payer pour ne pas dresser un procès-verbal dans lequel il relate une infraction : quelle incrimination faudra-t-il retenir contre lui, de la corruption ou du chantage ? La solution consiste à distinguer selon que l'acte entrait ou non dans les attributions du coupable. S'il s'agit d'un acte entrant dans les limites des pouvoirs du fonctionnaire, nul doute qu'on doive relever une corruption  (V. arrêts cités infra n°  64). Si au contraire le coupable prétendait constater une infraction imaginaire, on ne peut plus parler d'acte de la fonction et c'est la qualification de chantage qui doit être retenue  (V. CA  Paris, 17 mars et 16 juin 1922 : S. 1922, 2, p. 125 ; DP 1922, 2, p. 145, note G. Leloir et, sur pourvoi, Cass. crim., 6 janv. 1923 : DP 1923, 1, p. 238 ; Gaz. Pal. 1923, 1, p. 203).

1995652 ° Comparaison avec la concussion

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18. – Droit romain. - La dernière distinction à effectuer oppose la corruption à la concussion. L'histoire révèle que les deux infractions ont été longtemps confondues, englobées dans une même et unique répression sévère.

Ainsi, dans le très ancien droit romain, la concussion et la corruption étaient tenues pour des crimes si graves, notamment s'ils étaient le fait de magistrats, qu'on avait décidé que les coupables pourraient encourir jusqu'à la peine de mort (V. par exemple la Loi   des XII Tables). Cette rigueur s'atténua par la suite, et des lois nombreuses se succédèrent sans qu'on pût réduire ce fléau qui sévissait dans l'administration romaine : le fameux Verrès, contre qui Cicéron prononça l'une de ses célèbres plaidoiries, est un des cas les plus connus de ces administrateurs prévaricateurs. Parmi les textes promulgués, il faut mentionner spécialement la lex Julia repetundarum due à Jules César, et qui resta longtemps la disposition répressive essentielle, punissant le coupable d'une amende du quadruple des choses reçues (V. sur cette évolution du droit romain, A. Chauveau et F. Hélie, op. cit., t. II, n° 831).

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19. – Ancien droit français. - L'Ancien Régime avait lui-même souffert des prévarications des administrateurs et des magistrats comme d'un mal endémique ; des personnages illustres, parmi lesquels figure le chancelier Poyet, au XVIe siècle, furent poursuivis et sévèrement punis. Mais les peines ordinaires, dépendant des circonstances et de la qualité des coupables (interdiction à temps, privation d'office, dommages-intérêts et restitutions au quadruple des sommes reçues, quelquefois le bannissement et la peine capitale, lorsque le crime avait eu un innocent pour victime), ne furent pas toujours suffisantes et, pour parvenir à enrayer le mal, il fallut parfois toute la rigueur de juridictions exceptionnelles comme le furent les Grands Jours (Jousse, Traité de la justice criminelle de France, t. III, 1771, p. 774 s.).

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20. – Droit de la Révolution. - Tout en maintenant la même sévérité, le Code pénal de 1791, pour la première fois, sépara la concussion de la corruption et, dans sa deuxième partie  (Titre Ier, sect. V, art. 7 et s.), porta des peines sévères contre les fonctionnaires (dégradation civique), les magistrats, jurés, officiers de police (vingt années de réclusion) et les membres de la législature (peine de mort). Sans rien modifier des peines déjà prévues par le code de 1791, le code du 3 brumaire an IV  (art. 644) ajouta seulement contre les magistrats la peine de la forfaiture, qui consistait en l'interdiction d'exercer à l'avenir aucune fonction.

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21. – Ancien Code pénal. - À cette répression insuffisamment nuancée, le Code pénal de 1810 substitua une réglementation nouvelle, tout en maintenant à la concussion et à la corruption leur autonomie respective, marquée par l'existence de dispositions légales séparées : à la concussion était consacré, à l'intérieur d'un paragraphe spécial, l'article 174, tandis que, dans un autre paragraphe, les articles 177 et suivants contenaient l'incrimination de corruption en ses diverses formes.

Le critère de la distinction entre les deux sortes d'infractions réside dans le titre auquel la fonctionnaire reçoit le rémunération délictueuse. S'il reçoit, sollicite ou exige cette rémunération comme le prix d'un acte qu'il s'engage à accomplir, à retarder ou à ne pas accomplir et qui relève de sa fonction ou est facilité par elle, il commet un délit de corruption. Si au contraire le coupable a reçu des fonds comme une chose prétendûment due à titre d'impôt, il y a concussion  (R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, Sirey, t. IV : 3e éd., n° 1500, p. 341. –  E. Garçon, Code pénal annoté : Sirey, 2e éd., par M. Rousselet, M. Patin et M. Ancel, art. 174, n° 58 s. – F. Hélie et J. Brouchot, Pratique criminelle des cours et tribunaux, 1888, n° 217. – A. Blanche, Études sur le Code pénal, t. III, Droit pénal, t. II : Éd. techniques, 5e éd. 1948, n° 378. – R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, par A. Vitu, t. I : Cujas, n° 347). Peu importe que le concussionnaire ait exigé ou seulement agréé les sommes reçues.

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22. – Distinction jurisprudentielle. - Les explications précédemment données au sujet des conceptions théoriques qu'on peut adopter pour organiser la répression de la corruption permettent de bien saisir la différence entre les deux infractions. Dans la concussion, le fonctionnaire est l'auteur de l'infraction et le particulier sa victime. Dans la corruption, corrupteur et corrompu sont tous deux coupables.

La jurisprudence a été longtemps confuse  (V. arrêts cités par E. Garçon, art. 174, n° 63 à 71) et c'est seulement avec une décision rendue par la chambre criminelle le 26 juillet 1917 (Bull. crim., n° 170 ; S. 1921, 1, p. 93 ; DP 1921, 1, p. 142) que la distinction a été nettement posée dans le sens indiqué au texte. Dans cette espèce, un individu s'était mis à la disposition d'une municipalité, pendant la Première Guerre mondiale, pour faire des enquêtes au sujet de demandes d'allocations déposées par des parents ou des épouses de mobilisés ; il se faisait remettre de l'argent par les personnes qu'il visitait, leur laissant croire que ces versements assureraient le maintien de leur allocation, dont la suppression, disait-il, était envisagée. Or il s'agissait ici de versements, non pour sommes dues, mais à titre de présents : il n'y avait donc pas de concussion et comme, d'autre part, le coupable n'avait aucune des qualités visées par l'article 177, alinéa 1er, on ne pouvait pas retenir non plus la corruption de fonctionnaire.

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23. – Code pénal actuel. - Il a maintenu la distinction de principe établie par les textes précédents. À la concussion, il consacre une disposition unique, l'article 432-10, tandis que la corruption passive et le trafic d'influence relèvent de l'article 432-11 ; ces deux dispositions sont cependant intégrées dans une même section, intitulée« Des manquements au devoir de probité »,pour mieux marquer que, malgré la distinction qu'il faut établir entre elles, un même fondement juridique en explique l'existence, à savoir l'interdiction faite aux représentants de collectivités publiques de tirer profit personnel des pouvoirs dont ils sont détenteurs : il y va de la bonne marche des services publics, du respect dû aux intérêts patrimoniaux de l'État et de la confiance dont le public doit normalement témoigner à l'égard des organes administratifs.