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LA MAFIA JUDICIAIRE TOULOUSAINE " Article 41 de la loi du 29 juillet 1881 - Déclaration universelle des droits de l'homme - Article 6 de la C.E.D.H " |
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COMMIS PAR
*
André
VITU
Professeur
émérite à la Faculté de droit,
Sciences
économiques et gestion de Nancy.
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1. – La corruption et le
trafic d'influence doivent être distingués de l'escroquerie (V. n° 11),
du chantage (V. n° 16) et de la concussion (V. n° 18).
2. – La corruption passive et
la corruption active constituent deux infractions distinctes (V. n° 31
s.).
3. – L'auteur de la
corruption passive ou du trafic d'influence passif est une personne dépositaire
de l'autorité publique (V. n° 59 s.), ou investie d'un mandat
public électif (V. n° 60 s.) ou chargée d'une mission de service
public (V. n° 72 s.).
4. – L'activité du corrompu
se traduit par la sollicitation ou l'agrément de dons ou de tous
autres avantages (V. n° 82).
5. – La sollicitation ou
l'agrément doit être antérieur à l'acte ou à l'abstention sollicitée (V.
n° 96).
6. – La corruption passive
tend à l'accomplissement ou à l'abstention d'actes de la fonction (V.
n° 102 s.) ou d'actes facilités par la fonction (V. n° 117 s.).
7. – Le trafic d'influence
suppose un abus du crédit possédé par le coupable (V. n° 123) et
tend à l'obtention de certaines faveurs (V. n° 127).
8. – En raison de l'ampleur
des actes incriminés, il n'y a pas de place pour la tentative (V. n° 149).
GÉNÉRALITÉS
1. – Aspect
criminologique de la corruption. - La
corruption est un mal social endémique, dont les manifestations se découvrent
à toutes les époques, dans tous les pays du monde et sous tous les régimes
politiques sans exception. Mais, au cours des dernières années, ont éclaté en
France un certain nombre d'affaires scandaleuses qui ont secoué l'opinion
publique et dans lesquelles se trouvaient mêlés, à côté de chefs d'entreprises
et d'hommes d'affaires, des fonctionnaires de tout niveau appartenant à diverses
administrations de l'État ou des collectivités publiques, et aussi des hommes
politiques de tous horizons et de tous niveaux, y compris des ministres en
exercice et des personnages placés très haut dans la hiérarchie de la République.
Les procédures répressives
diligentées sur ces affaires ont révélé l'existence de véritables réseaux de
type mafieux, dans lesquels s'enchevêtrent inextricablement des faits de
corruption, de favoritisme, d'abus de biens sociaux, d'escroquerie, de fausses
factures, de falsification de comptabilité, de faux et usages de faux en écritures,
de sociétés de façade... La complexité des faits rend longues et difficiles les
enquêtes policières et les instructions préparatoires. En outre, dans certaines
affaires, il est des hommes politiques, ministres ou autres, qui ont tout fait pour user de leur pouvoir et enrayer la marche
de la justice. La gravité du mal est telle que toute la « classe politique »,
dans son ensemble, est devenue suspecte aux yeux du public.
2. – Données
statistiques. - Les condamnations
prononcées des chefs de corruption, trafic d'influence, concussion et prise illégale
d'intérêts, rassemblées en une seule rubrique dans les statistiques
officielles, sont cependant très peu nombreuses, et ne dépassent guère la
centaine chaque année (20
condamnations en 1984; 91 en 1985; 76 en 1986; 122 en 1987; 69 en 1988; 76 en 1989;
108 en 1990 ; chiffres cités dans le rapport de M. Bonnet, sénateur, sur le
projet de loi devenu la loi n° 93-12 du 29
janvier 1993 relative à la prévention de la corruption). Elles ne font
apparaître qu'une très faible partie du mal, dont les ravages sont beaucoup
plus profonds et plus graves que les chiffres officiels ne le feraient croire. De
là l'importance qui s'attache à l'étude des dispositions que le nouveau Code pénal,
à la suite des textes du Code napoléonien, a consacrées à la corruption et au
trafic d'influence.
3. – Textes spéciaux. - La répression de la corruption est assurée parfois par
certains textes spéciaux. Quelques-uns sont intégrés au Code pénal ; ainsi en
matière d'évasion (C. pén., art.
242 ancien; C. pén., art. 434-32 nouveau), de
subornation de témoin, d'interprète ou d'expert
(C. pén., art. 365 et 367 anciens; C. pén., art. 434-16, 434-19 et 434-21 nouveaux). D'autres
ont leur place dans des codes différents, par exemple la corruption en matière
d'élection (C. élect.,
art. L. 106 et L. 108), de douanes (C.
douanes, art. 59), de travail (corruption
de salariés, C. trav., art. L. 152-6), de service
national (C. serv. nat., art.
L. 119), d'habitations à loyers modérés
(CCH, art. L. 423-11), de professions de santé dans leurs
rapports avec les entreprises pharmaceutiques et autres (C. santé publ., art. L. 365-1 et art.
L. 510-9-2) ou de pompes funèbres (CGCT,
art. L. 2223-35, al. 3 et 4).
Ces cas particuliers de
corruption ne seront pas évoqués dans le présent Fascicule.
4. – Ancien Code pénal.
- Les dispositions de droit commun
relatives à la corruption et au trafic d'influence, étaient groupées dans
l'ancien Code pénal en un ensemble unique, formé des articles 177 à 182, remanié
à diverses reprises. Pour des raisons qui seront exposées ci-après, ce bloc de
textes, d'ailleurs assez peu homogène, a été décomposé par le législateur en
plusieurs morceaux distincts.
L'un d'eux, concernant la
corruption des salariés des entreprises privées, a été déplacé dans
le Code du travail où il figure sous le nouvel article L. 152-6
(ajouté à ce code par L. n° 92-1336, 16 déc. 1992). Les autres
groupes ont été dispersés dans le nouveau Code pénal. On trouve dans l'article
432-11, commenté dans le présent Fascicule, l'incrimination de la corruption
passive et du trafic d'influence envisagé sous sa forme passive et commis
tous deux par des personnes exerçant une fonction publique. Il faut chercher
dans les articles 433-1 et 433-2 la répression de
la corruption active et du trafic d'influence commis par des particuliers.
L'article 434-9 est consacré, lui, à la corruption,
passive et active, des magistrats et autres personnes intervenant dans l'exercice des fonctions juridictionnelles. Une dernière variété de corruption, visée par l'article 441-8, concerne
les personnes qui, dans l'exercice de leur profession, établissent des attestations
ou des certificats faisant état de faits matériellement faux.
5. – Bien que le présent Fascicule ne concerne qu'un seul
des groupes qui viennent d'être énumérés, celui qui concerne la corruption
passive et le trafic passif d'influence commis par des personnes
exerçant une fonction publique, il est nécessaire de présenter dans leur
totalité les problèmes que posent les notions mêmes de corruption et de trafic
d'influence. Après avoir précisé d'abord la définition des termes employés par
la loi, il conviendra de s'interroger sur la nature juridique des infractions ;
seront enfin abordés les problèmes de politique criminelle que posent la répression
et la prévention de la corruption et du trafic d'influence.
A . – Définitions
6. – Définition générale de la corruption. - Dans l'acception admise par le langage courant et par
la terminologie juridique, la corruption est l'agissement par lequel une
personne investie d'une fonction déterminée, publique ou privée, sollicite ou
accepte un don, une offre ou une promesse en vue d'accomplir, retarder ou
omettre d'accomplir un acte entrant, d'une façon directe ou indirecte, dans le
cadre de ses fonctions. La corruption implique donc la violation, par le
coupable, des devoirs de sa charge ; comme l'ont écrit A. Chauveau et F. Hélie (Théorie
du Code pénal, t. II, Marchal et Billard, 5 éd. 1872, n° 833), le trafic de
l'emploi constitue donc une sorte d'abus de confiance au préjudice de celui, État,
collectivité publique ou simple particulier, de qui l'on tient l'autorité ou
les pouvoirs que l'on monnaye.
7. – Le
droit criminel français distingue deux sortes de corruption. Il y a corruption
passive, quand on examine la situation de la personne investie d'une
fonction qu'elle tient de l'État, d'une autre collectivité publique et qui
trafique de cette fonction en sollicitant ou en acceptant des dons ou des
promesses (on dit qu'elle demande ou qu'elle accepte des « pots-de-vin ») en vue d'accomplir ou de
s'abstenir d'accomplir tel ou tel acte de sa fonction ou facilité par cette fonction
: au coupable, on donne le nom de corrompu.
Une expression différente,
celle de corruption active, désigne les agissements par lesquels un
tiers obtient ou s'efforce d'obtenir, moyennant des dons ou des promesses,
d'une personne chargée d'une fonction publique ou privée, qu'elle accomplisse,
retarde ou s'abstienne d'accomplir ou de retarder un acte de sa fonction ou un
acte facilité par cette fonction. Le coupable, ici, est appelé corrupteur.
8. – À l'imitation
de ce qui a lieu pour la corruption, on peut également distinguer dans le
trafic d'influence un aspect passif et un aspect actif.
Le trafic d'influence passif est
imputable, soit à une personne exerçant une fonction publique, soit à une
personne privée, qui, se prévalant d'une influence réelle ou supposée dont elle
prétend disposer, sollicite ou accepte des dons, présents, offres ou promesses,
en vue de faire obtenir au remettant des avantages ou faveurs de toute sorte,
dont les pouvoirs publics sont prétendument les dispensateurs. Le trafic
d'influence actif est le fait d'un tiers, qui offre une rémunération, soit à
une personne exerçant une fonction publique, soit à un simple particulier,
qu'il croit posséder une influence sur les pouvoirs publics, en vue d'obtenir
de ces derniers des avantages ou des faveurs. Pourtant la pratique use moins
souvent de ces deux expressions que, de son côté, le nouveau Code pénal n'a pas
reprises malgré le parallèle qu'elles établissent avec la corruption.
B . – Nature
juridique des infractions de corruption et de trafic d'influence
9. – Conception retenue par l'ancien Code pénal. - Les rédacteurs du Code pénal de 1810 avaient fait de
la corruption, sous ses divers aspects, une infraction contre la chose publique.Cette
conception avait prévalu également lorsque fut créée, en 1889, l'incrimination
de trafic d'influence. C'est également à ce point de vue que s'est rallié, au
moins en large partie, le nouveau Code pénal.
Mais cette façon de voir les
choses n'a pas suffi à éviter que des difficultés n'apparaissent parfois, quand
il faut distinguer la corruption et le trafic d'influence de certaines
infractions contre les particuliers qui supposent, comme elle, une certaine
pression morale ou une fraude (ainsi pour le chantage et l'escroquerie),
ou même lorsqu'on veut ne pas la confondre avec des agissements relevant, eux
aussi, du groupe des infractions contre l'administration publique (par
exemple la concussion). Il importe donc de tracer les frontières qui séparent
la corruption et le trafic d'influence d'infractions différentes.
1 ° Comparaison avec certaines infractions contre le
patrimoine
10. – La
pratique révèle que la corruption et le trafic d'influence sont parfois fort
proches des deux délits d'appropriation frauduleuse que sont l'escroquerie (C. pén., art. 313-1er et s. nouveaux; C. pén.,
art. 405 ancien) et le chantage
(C. pén., art. 312-10 et s. nouveaux; C. pén., art. 400, al. 2 ancien). Il n'est pas toujours
facile de bien séparer les divers types d'infractions.
11. – Corruption et escroquerie. - Il importe d'abord de bien distinguer la corruption de
l'escroquerie. Cette dernière suppose que le coupable a fait usage d'un faux
nom ou d'une fausse qualité ou qu'il a employé des manoeuvres frauduleuses, de
façon à tromper la victime et à la déterminer à remettre des fonds, des valeurs
ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant
obligation ou décharge. Partant de cette définition, il est aisé, dans la
plupart des cas de découvrir la qualification qui doit être appliquée.
12. – Prévalence de la qualification d'escroquerie. - On retiendra l'escroquerie et elle seule, lorsqu'un
individu, faisant usage d'un faux nom, ou se prévalant faussement de la qualité
de fonctionnaire ou d'une qualité assimilée, obtient la remise de fonds pour
accomplir ou s'abstenir d'un acte qu'il prétend être un acte de la fonction
qu'il usurpe. Même solution, lorsqu'il s'agit d'un individu effectivement
titulaire de la fonction qu'il invoque et qui se fait payer pour accomplir ou
omettre d'accomplir un acte qui n'entre pas dans cette fonction ni n'est
facilité par elle (V. infra n° 114 s., les difficultés auxquelles cette
situation a donné lieu, au XIXe siècle, devant la
Cour de cassation ; l'arrêt de Cass. ch. réunies, 31 mars 1827 : Bull. crim., n° 71, a fixé la jurisprudence dans le sens qui
vient d'être indiqué, à propos d'un garde champêtre qui avait reçu de l'argent
pour s'abstenir de dresser procès-verbal contre un chasseur trouvé, par lui, en
délit sur un territoire situé en dehors de l'arrondissement pour lequel il était
commissionné).
Dans les deux cas qui
viennent d'être exposés, il serait inexact de parler de corruption : le
coupable ne possède pas la qualité de fonctionnaire dont il se prévaut
faussement, ni le pouvoir d'agir qu'il allègue ; il ne peut donc pas trafiquer
d'une fonction à laquelle il est en réalité étranger.
13. – Prévalence de la qualification de corruption. - Inversement, la qualification de corruption s'impose
lorsque le fonctionnaire ou le salarié ont trafiqué de leur fonction ou de leur
emploi, sans chercher à faire miroiter aux yeux de leurs victimes un pouvoir
imaginaire. Le pouvoir qu'ils monnayent, ils le possèdent réellement et la
corruption seule doit être relevée contre eux, même s'ils n'accomplissent pas
l'acte pour lequel ils se sont fait payer ou agissent contrairement à la
promesse d'abstention qu'ils ont formulée. On verra, en effet, que le délit de
corruption est consommé dès que les sollicitations ont eu lieu, et qu'il est
totalement indépendant de l'exécution du marché illicite.
14. – Cumul de qualifications. - Voici plus embarrassant. Pour rendre plus insistante
la demande d'une rémunération, la sollicitation émanée du fonctionnaire
s'accompagne d'une véritable mise en scène comme on en voit dans de nombreux
cas d'escroquerie ; ou bien encore, en plus des pouvoirs qu'il a et dont il
offre de trafiquer, le fonctionnaire allègue de prétendues prérogatives qu'il
accepte, si on agrée sa sollicitation, de ne pas mettre en oeuvre. En une telle
hypothèse, il y a cumul réel d'infractions, et les faits doivent être retenus
sous leur expression pénale la plus élevée, celle de corruption (Cass. crim., 13
juill. 1934 : DH 1934, p. 510. – Le maire du Puy ayant ordonné la fermeture
provisoire d'une maison de tolérance, le commissaire de police s'était fait
remettre par la tenancière une somme d'argent, en lui promettant de ne pas aviser
le ministère de l'Intérieur de l'existence de l'arrêté municipal de fermeture,
encore qu'il y fût obligé, disait-il, par une circulaire ministérielle qu'il avait exhibée à la
tenancière sans cependant lui en lire le texte ; l'envoi de cet avis, ajoutait-il
mensongèrement, entraînerait la fermeture obligatoire de la maison).
15. – Escroquerie et trafic d'influence. - Même difficulté pour séparer l'escroquerie de cette
forme particulière de vénalité qu'est le trafic d'influence. Si le coupable
trafique d'une influence qu'il possède vraiment, on appliquera l'article 432-11 (autrefois art. 178) qui frappe cette
infraction. Si, au contraire, l'influence est imaginaire, il semble que l'on
devrait faire appel exclusivement à l'incrimination d'escroquerie ;
malheureusement la situation est rendue complexe parce que, comme le texte
ancien, l'article 432-11 réprime indistinctement le trafic d'une influence réelle
ou supposée (V. infra n° 125). On se trouve alors souvent en présence
d'un cumul de qualifications, qu'il faut résoudre en appliquant la
qualification la plus sévère, c'est-à-dire celle de trafic d'influence.
16. – Corruption et chantage. - Lorsqu'aux manoeuvres frauduleuses, le coupable a préféré
l'emploi de la contrainte morale, la corruption se rapproche du chantage. Cette
infraction suppose la menace de révélations ou l'imputation de faits de nature à
porter atteinte à l'honneur ou à la réputation de la victime. Or certains actes
accomplis par des fonctionnaires sont, par nature, révélateurs de faits qui
peuvent ruiner la considération dont jouit la personne qu'ils visent : ainsi en
va-t-il des procès-verbaux ou des rapports de police constatant des infractions.
17. – Application pratique. - Supposons qu'un fonctionnaire de police se fasse payer
pour ne pas dresser un procès-verbal dans lequel il relate une infraction : quelle
incrimination faudra-t-il retenir contre lui, de la corruption ou du chantage ?
La solution consiste à distinguer selon que l'acte entrait ou non dans
les attributions du coupable. S'il s'agit d'un acte entrant dans les limites
des pouvoirs du fonctionnaire, nul doute qu'on doive relever une
corruption (V. arrêts cités infra n° 64). Si au contraire le coupable prétendait
constater une infraction imaginaire, on ne peut plus parler d'acte de la
fonction et c'est la qualification de chantage qui doit être retenue (V. CA
Paris, 17 mars et 16 juin 1922 : S. 1922, 2, p. 125 ; DP 1922, 2, p. 145,
note G. Leloir et, sur pourvoi, Cass. crim., 6 janv. 1923 : DP 1923, 1, p. 238 ; Gaz. Pal. 1923, 1, p.
203).
2 ° Comparaison avec la concussion
18. – Droit romain. - La dernière distinction à effectuer oppose la
corruption à la concussion. L'histoire révèle que les deux infractions ont été longtemps
confondues, englobées dans une même et unique répression sévère.
Ainsi, dans le très ancien
droit romain, la concussion et la corruption étaient tenues pour des crimes si
graves, notamment s'ils étaient le fait de magistrats, qu'on
avait décidé que les coupables pourraient encourir jusqu'à la peine de mort (V.
par exemple la Loi des XII Tables). Cette
rigueur s'atténua par la suite, et des lois nombreuses se succédèrent sans qu'on
pût réduire ce fléau qui sévissait dans
l'administration romaine : le fameux Verrès, contre qui Cicéron prononça l'une
de ses célèbres plaidoiries, est un des cas les plus connus de ces
administrateurs prévaricateurs. Parmi les textes promulgués, il faut mentionner
spécialement la lex Julia repetundarum due à Jules César, et qui resta longtemps
la disposition répressive essentielle, punissant le coupable d'une amende du
quadruple des choses reçues (V. sur cette évolution du droit romain, A. Chauveau
et F. Hélie, op. cit., t. II, n° 831).
19. – Ancien droit français. - L'Ancien Régime avait lui-même
souffert des prévarications des administrateurs et des magistrats comme d'un mal endémique ; des personnages illustres, parmi lesquels
figure le chancelier Poyet, au XVIe siècle, furent
poursuivis et sévèrement punis. Mais les peines ordinaires, dépendant des
circonstances et de la qualité des coupables (interdiction à temps,
privation d'office, dommages-intérêts et restitutions
au quadruple des sommes reçues, quelquefois le bannissement et la peine
capitale, lorsque le crime avait eu un innocent pour victime), ne furent
pas toujours suffisantes et, pour parvenir à enrayer le mal, il fallut parfois
toute la rigueur de juridictions exceptionnelles comme le furent les Grands
Jours (Jousse, Traité de la justice criminelle de
France, t. III, 1771, p. 774 s.).
20. – Droit de la Révolution. - Tout en maintenant la même sévérité, le Code pénal de 1791,
pour la première fois, sépara la concussion de la corruption et, dans sa deuxième
partie (Titre Ier,
sect. V, art. 7 et s.), porta des peines sévères contre les fonctionnaires (dégradation
civique), les magistrats, jurés, officiers de police (vingt années de réclusion)
et les membres de la législature (peine de mort). Sans rien modifier des
peines déjà prévues par le code de 1791, le code du 3 brumaire an IV (art. 644) ajouta seulement contre les
magistrats la peine de la forfaiture, qui
consistait en l'interdiction d'exercer à l'avenir aucune fonction.
21. – Ancien Code pénal. - À cette répression insuffisamment nuancée, le Code pénal
de 1810 substitua une réglementation nouvelle, tout en maintenant à la
concussion et à la corruption leur autonomie respective, marquée par
l'existence de dispositions légales séparées : à la concussion était consacré, à
l'intérieur d'un paragraphe spécial, l'article 174, tandis que, dans un autre
paragraphe, les articles 177 et suivants contenaient l'incrimination de
corruption en ses diverses formes.
Le critère de la distinction
entre les deux sortes d'infractions réside dans le titre auquel la
fonctionnaire reçoit le rémunération délictueuse. S'il
reçoit, sollicite ou exige cette rémunération comme le prix d'un acte qu'il
s'engage à accomplir, à retarder ou à ne pas accomplir et qui relève de sa
fonction ou est facilité par elle, il commet un délit de corruption. Si au
contraire le coupable a reçu des fonds comme une chose prétendûment
due à titre d'impôt, il y a concussion (R.
Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal
français, Sirey, t. IV : 3e éd., n° 1500, p. 341. – E. Garçon, Code pénal annoté : Sirey, 2e éd.,
par M. Rousselet, M. Patin et M. Ancel, art. 174, n° 58
s. – F. Hélie et J. Brouchot, Pratique criminelle des
cours et tribunaux, 1888, n° 217. – A. Blanche, Études sur le Code pénal, t. III,
Droit pénal, t. II : Éd. techniques, 5e éd. 1948, n° 378. – R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, par A.
Vitu, t. I : Cujas, n° 347). Peu importe que le
concussionnaire ait exigé ou seulement agréé les sommes reçues.
22. – Distinction jurisprudentielle. - Les explications précédemment données au sujet des
conceptions théoriques qu'on peut adopter pour organiser la répression de la
corruption permettent de bien saisir la différence entre les deux infractions. Dans
la concussion, le fonctionnaire est l'auteur de l'infraction et le particulier
sa victime. Dans la corruption, corrupteur et corrompu sont tous deux coupables.
La jurisprudence a été longtemps
confuse (V. arrêts cités par E. Garçon,
art. 174, n° 63 à 71) et c'est seulement avec une décision rendue par la
chambre criminelle le 26 juillet 1917 (Bull. crim., n° 170 ; S. 1921, 1,
p. 93 ; DP 1921, 1, p. 142) que la distinction a été nettement posée dans
le sens indiqué au texte. Dans cette espèce, un individu s'était mis à la
disposition d'une municipalité, pendant la Première Guerre mondiale, pour faire
des enquêtes au sujet de demandes d'allocations déposées par des parents ou des
épouses de mobilisés ; il se faisait remettre de l'argent par les personnes
qu'il visitait, leur laissant croire que ces versements assureraient le
maintien de leur allocation, dont la suppression, disait-il, était envisagée. Or
il s'agissait ici de versements, non pour sommes dues, mais à titre de présents
: il n'y avait donc pas de concussion et comme, d'autre part, le coupable
n'avait aucune des qualités visées par l'article 177, alinéa 1er, on ne pouvait
pas retenir non plus la corruption de fonctionnaire.
23. – Code pénal actuel. - Il a maintenu la distinction de principe établie par
les textes précédents. À la concussion, il consacre
une disposition unique, l'article 432-10, tandis que la
corruption passive et le trafic d'influence relèvent de l'article 432-11 ;
ces deux dispositions sont cependant intégrées dans une même section, intitulée«
Des manquements au devoir de probité »,pour mieux marquer que, malgré
la distinction qu'il faut établir entre elles, un même fondement juridique
en explique l'existence, à savoir l'interdiction faite aux représentants de
collectivités publiques de tirer profit personnel des pouvoirs dont ils sont
détenteurs : il y va de la bonne marche des services publics, du respect dû
aux intérêts patrimoniaux de l'État et de la confiance dont le public doit
normalement témoigner à l'égard des organes administratifs.
C . – Corruption
et politique criminelle
1 ° Systèmes législatifs comparés
24. – Multiplicité de conceptions. - On peut organiser la répression de la corruption en
s'inspirant de conceptions différentes, voire opposées (Sur ce problème,
V. R. Garraud, op. cit., t. IV, n° 1519, p. 369 s.).
25. – Bilatéralité de la corruption. - On peut d'abord, dans un premier groupe de systèmes,
partir de cette constatation que la consommation de l'infraction réside
dans la « convention » illicite conclue entre corrupteur et corrompu, et par
laquelle le second est amené à trafiquer de sa fonction ou de son emploi. Ce
concours des deux volontés donne à la corruption un caractère de« bilatéralité
», qui permet de bien la distinguer de la concussion, dans laquelle le
fonctionnaire est seul coupable tandis que le tiers est victime. La Cour de
cassation fait parfois allusion à une convention qui unirait le corrupteur et
le corrompu (Cass. crim., 14
mai 1986 : Bull. crim., n° 163 ; Rev.
sc. crim. 1987, p. 685, obs. J.-P. Delmas-Saint-Hilaire),malgré les critiques souvent faites
en doctrine à cette façon d'analyser la situation (V. infra n° 30).
Mais, ce point de départ une
fois posé, des solutions assez divergentes font alors leur apparition.
26. – Auteur et complice. - En une première analyse qui a pour elle une indéniable
logique, on fait observer que, du corrupteur et du fonctionnaire corrompu, le
plus coupable des deux est encore le second, qui méconnaît volontairement les
devoirs de fidélité et prohibé que sa fonction fait peser sur lui, devoirs dont
le respect ne s'impose pas de la même façon au tiers corrupteur, qui n'est tenu
d'aucun lien envers l'administration publique. Juridiquement, il faudrait donc regarder
le corrompu comme l'auteur de l'infraction de corruption, même s'il n'a pas
pris l'initiative et s'est contenté de céder aux entreprises du tiers, et le
corrupteur ne devrait être regardé que comme un complice.
27. – Insuffisance de l'analyse. - Mais, malgré sa logique, cette manière de voir les
choses est atteinte d'un vice grave qui a sa source dans la conception
que le droit pénal français a admise en matière de complicité. Si l'on considère,
en effet, comme le faisait l'ancien Code pénal (, art. 59 et s.) que le
complice « emprunte » la criminalité du fait accompli par l'auteur principal,
il faut conclure qu'échapperait totalement à la répression le tiers qui
tenterait sans succès de corrompre un fonctionnaire, puisque la tentative de
complicité est, de droit commun, impunissable. On
pourrait d'autre part hésiter à poursuivre le ou les complices du tiers
corrupteur, car la question reste débattue de savoir si, en droit français, il
est possible de réprimer la complicité de complicité.
28. – Persistance du vice de l'analyse. - La critique qui précède garderait sa valeur sous l'empire
du nouveau Code pénal. En effet, tout en déclarant que le complice est puni
comme auteur de l'infraction, l'article 121-6 ne s'est pas dégagé de l'idée
ancienne de l'emprunt de criminalité : en rejetant la proposition
gouvernementale de distinguer l'instigateur du complice, ce qui aurait permis
de punir l'instigateur même en l'absence d'infraction principale consommée ou
tentée, le Parlement a montré son intention de ne pas abandonner la règle
qu'avait consacrée le Code de 1810.
29. – Coauteurs. - Tout en maintenant le caractère bilatéral de l'infraction de
corruption, une partie de la doctrine a cherché à écarter la difficulté signalée
à l'instant en regardant le corrupteur et le corrompu comme les coauteurs de
l'infraction : c'est la solution que préconisait R. Garraud
(op. cit., t. IV, n° 1519, p. 370). Dans cette
optique, le délit serait pleinement réalisé lorsque l'accord se serait fait
entre les deux délinquants (on pourrait d'ailleurs retarder la commission de
l'infraction jusqu'au moment où l'acte de la fonction, objet du trafic, a été accompli
; le point de vue serait législativement concevable), – et il y aurait
simple tentative si l'offre, faite par l'un des deux personnages à l'autre, n'a
pas abouti. Dans cette analyse, le corrupteur est punissable même si le
fonctionnaire n'a pas accepté de se laisser corrompre.
30. – Supérieur
à celui qui fait du corrompu l'auteur principal de l'infraction et du
corrupteur son complice, ce système n'est cependant pas à l'abri de la critique.
Il présente en effet le défaut de ne pas distinguer suffisamment entre l'un
et l'autre personnage. À moins qu'il n'ait cédé à une contrainte exclusive de
toute responsabilité pénale, le corrompu ne devrait-il pas être tenu pour beaucoup
plus coupable que le tiers corrupteur ? Car les obligations qu'il viole, et qui
constituent le fondement de la confiance que la puissance publique ou
l'employeur privé ont mise en lui, le lient seul ; le corrupteur, sans doute,
profite d'une faiblesse du corrompu, mais ce n'est pas lui qui, à titre
principal, trafique de la fonction. Or, à les regarder tous deux comme
coauteurs d'une infraction unique, et les menacer d'une peine identique, c'est
méconnaître, d'un point de vue législatif, la différence des situations qui séparent
les deux coupables.
31. – Ces
inconvénients, on peut les éviter en faisant appel à un autre système,qui fait de la
corruption un complexe de deux infractions distinctes : la corruption
passive et la corruption active, aux sens précédemment définis, la première
imputable à la personne corrompue, la seconde au corrupteur. Cette conception
minimise, il est vrai, l'aspect bilatéral de la corruption, mais elle présente
l'avantage d'éviter les difficultés du système fondé sur l'idée d'une complicité,
et elle permet de tenir un compte plus exact de la différence de situation
entre les deux délinquants.
32. – Position de l'ancien Code pénal. - Entre ces divers points de vue, le Code pénal de 1810
n'avait pas choisi d'une manière suffisamment nette. Sans doute le législateur
avait-il décomposé la corruption en infractions distinctes, corruption active
et corruption passive, mais il conservait une certaine place à l'aspect « bilatéral
» du fait, puisqu'il admettait, du moins implicitement, que la corruption
active et la corruption passive n'étaient consommées que par la conclusion du
marché illicite (et certains auteurs,
allant plus loin, prétendaient même qu'il fallait que le pacte fût exécuté ;
l'intérêt de la discussion était relatif au problème de la tentative et de
l'efficacité d'un désistement volontaire. – V. infra n° 149). Le législateur napoléonien avait
d'autre part admis que le corrupteur devait être puni des mêmes peines que le
fonctionnaire corrompu, lorsque du moins les manoeuvres corruptrices avaient eu
l'agrément de ce dernier.
33. – Textes récents. - Ainsi qu'on le verra ultérieurement (V. infra n° 83 s.), l'aspect « bilatéral » de la
corruption s'est atténué par l'effet de la loi
du 16 mars 1943 et de l'ordonnance du 8 février 1945, réformant
les articles 177 et suivants de l'ancien Code pénal, et le code actuel a fait
sienne cette position. Tout en maintenant l'existence d'infractions distinctes,
le droit français décide désormais que chacune de ces infractions est consommée,
non seulement par l'acceptation de dons ou de promesses (c'est-à-dire
par la conclusion d'un marché illicite), mais aussi par la simple
sollicitation ou la simple offre, faite en vue du trafic de la fonction. Seule
l'identité des peines prévues contre le corrupteur et le corrompu rappelle le
lien unissant leur criminalité.
La même solution a prévalu
pour le trafic d'influence, sous l'effet de la loi de 1943 et de l'ordonnance de 1945.
34. – Position de la jurisprudence. - Elle a tiré diverses conséquences de l'indépendance
des deux aspects, passif et actif, de la corruption et du trafic d'influence :
- l'indépendance de l'aspect actif et de l'aspect passif de l'infraction permet
la poursuite séparée du corrupteur et du corrompu : l'un des coupables ne
saurait faire obstacle à l'action publique en exigeant des poursuites simultanées (V. pour le trafic d'influence, CA, Paris,
18 janv. 1910 : DP 1913, 1, p. 49, ss. Cass. crim., 22 juill. 1910 : DP 1913,
1, p. 49, note G. Leloir);
- l'amnistie accordée aux coupables de corruption active ne peut s'étendre
aux auteurs de corruption passive. Ainsi les lois des 16 avril 1947 (art. 10, dernier al.) et 6 août 1953 (art. 29 et 29 bis, dernier al.) ont
exclu du bénéfice de l'amnistie les coupables de corruption passive, estimant à
juste titre plus grave la criminalité du corrompu que celle de corrupteur (Cass. crim., 11 juill. 1956 : JCP
G1956, III, 9540 ; Gaz. Pal. 1956, 2, p. 120). Les mesures d'amnistie plus
récentes n'ont cependant pas reproduit cette distinction : elles refusent
l'amnistie aussi bien au coupable de corruption active qu'à l'auteur d'une
corruption passive ; ainsi en ont décidé les lois des 16 juillet 1974 (art.28-8°), 15 janvier 1990 (art. 19. – V. pour l'application de cette
disposition, Cass. crim., 27 oct. 1997 : Bull. crim., n° 352 ; D. 1997, inf.
rap. p. 251 ; Dr. pén. 1998, comm. n° 16, obs. M. Véron) et 3 août 1995
(art.25-4°);
- à l'époque où, avant 1943, la corruption était sous ses deux formes punie
de peines criminelles, le jury de la cour d'assises pouvait répondre, sans
contradiction, négativement à la question relative à la culpabilité du
corrupteur et affirmativement à la question sur la culpabilité du corrompu, ou
inversement (Cass. crim., 22
avr. 1937 : Gaz. Pal. 1937, 2, p. 272).
2 ° Évolution du droit positif français
a ) Aspects répressifs
1 ) Évolution des textes concernant la corruption
35. – Ancien Code pénal. - Au sortir de la période révolutionnaire, et pour
apporter quelques nuances nécessaires à la réglementation particulièrement sévère
contenue dans le code de 1791 (V. supra
n° 20), le Code pénal de 1810 établit
une réglementation nouvelle applicable à la corruption.
Dans ses dispositions
primitives, il punissait de la peine criminelle du carcan et d'une amende tout
fonctionnaire public, tout agent ou préposé d'une administration publique qui
avait agréé des promesses ou reçu des dons pour faire un acte de sa fonction ou
de son emploi (art. 177),ainsi que toute
personne qui, par des voies de fait, menaces, promesses ou présents, avait
voulu obtenir d'un des fonctionnaires précédemment énumérés un acte de sa
fonction (art. 179). Deux causes
d'aggravation existaient : l'une lorsque la corruption avait pour objet un fait
criminel puni d'une peine plus forte que le carcan, et cette peine plus forte était
alors appliquée au coupable (art. 178);
l'autre quand le coupable était un juge, statuant en matière
criminelle (les articles 181 et 182
prévoyaient au minimum la peine de la réclusion). À ces dispositions
s'ajoutait enfin la confiscation des choses ou des sommes perçues par le
coupable (art. 180).
Telle fut, jusqu'en 1863, la
législation appliquée en France, à peine modifiée par la substitution de la dégradation
civique à la peine du carcan, lorsque celle-ci fut supprimée par la loi du 28 avril 1832.
36. – Double orientation de l'évolution. - Une importante évolution s'est produite depuis 1863,
affectant profondément les dispositions des articles 177 à 180 du Code pénal. Dans
l'ordre chronologique, on citera les lois des 13 mai 1863, 9 mars 1928, 16
mai 1943 et l'ordonnance du 8 février 1945. Cette évolution traduit
un double courant de la politique criminelle française. On constate,
d'une part, une extension progressive de la répression : toutes les lois
qui se sont succédées ont élargi les incriminations de corruption, à la fois
quant aux personnes visées et quant aux actes de la fonction dont trafiquent
ces personnes. D'autre part, s'est produite en 1943 une correctionnalisation
légale de ce qui était jusqu'alors un crime (V. A. Vitu,
Les préoccupations actuelles de la politique criminelle française dans la répression
de la corruption, Mélanges H. Donnedieu de Vabres 1960, p. 127 s.).
37. – Divers
facteurs expliquent l'extension des conditions d'incrimination en
matière de corruption. Il faut citer d'abord l'énorme accroissement des modes
d'intervention de la puissance publique dans la vie contemporaine : la prolifération
des services administratifs ou para-administratifs a
considérablement élargi le nombre de cas parmi lesquels le simple particulier
peut être tenté d'obtenir, par la faveur, une décision de l'autorité. À cela
s'ajoutent le bouleversement des situations économiques dû aux deux guerres
mondiales et, surtout, un abaissement sensible de la moralité générale.
38. – On
peut penser, d'ailleurs, que l'élargissement des incriminations n'a peut-être
pas atteint son point culminant. En particulier, le développement des
organisations internationales, dont les fonctionnaires sont chargés de missions
temporaires en France ou sont même implantés d'une façon permanente dans notre
pays, conduira peut-être un jour à élargir les termes de l'énumération de
l'article 177 du Code pénal, pour y intégrer même ces représentants Étrangers (V.
sur cette question les intéressantes réflexions de L. Damour,
À propos d'un arrêt récent sur la corruption d'expert : Rev.
sc. crim. 1955, p. 576 s.). Sans doute alors
faudrait-il englober dans cette extension législative les fonctionnaires ou
autres personnages de nationalité étrangère qui sont appelés, en vertu de
conventions ou de traités internationaux, à remplir sur le territoire français
des tâches officielles ?
Il serait en tout cas assez
difficile qu'en l'état des textes actuels un tribunal répressif puisse de lui-même
faire cette extension : elle irait au-delà de l'esprit dans lequel avaient été conçus
l'article 177 et tous les textes où l'on réprime des infractions commises par
ou contre des fonctionnaires ou personnes assimilées : c'est seulement le renom
et la majesté de la puissance publique française qu'on protège.
39. – Personnes visées. - L'extension des conditions d'incrimination mentionnée à
l'instant s'est d'abord manifestée quant aux personnes visées. Alors que, dans
leur rédaction primitive, les articles 177 et suivants ne concernaient que les
fonctionnaires administratifs et judiciaires, ainsi que les agents et préposés
des administrations, des lois ultérieures y ont successivement ajouté les
experts et les arbitres (L. 13 mai 1863),
les médecins (L. 9 mars 1928), les
agents et préposés d'une administration placée sous le contrôle de la puissance
publique et les citoyens chargés d'un ministère public (L. 16 mars 1943), enfin les personnes
investies d'un mandat électif, les dentistes, chirurgiens et sages-femmes (Ord. 8 févr. 1945).
40. – Actes punissables. - Un développement analogue peut être remarqué pour les actes
dont les personnes corrompues peuvent trafiquer. Pour corriger une dissymétrie
inexpliquée qui existait à l'époque entre le corrupteur et le corrompu, la
loi de 1863 précitée avait ajouté, à l'accomplissement
d'un acte de la fonction que le corrupteur avait voulu obtenir du
fonctionnaire, l'abstention d'un acte de cette même fonction. Plus tard, la
loi de 1943 et l'ordonnance de 1945,
consacrant une jurisprudence qui s'était développée pour les employés des
entreprises privées, ont incriminé la corruption portant sur des actes qui,
sans être à proprement parler des actes de la fonction, sont cependant facilités
par elle.
41. – Correctionnalisation de la corruption. - La correctionnalisation législative des infractions de
corruption se manifesta avec la loi du 16
mars 1943, validée sur ce point par l'ordonnance de 1945. Le mouvement général
de correctionnalisation légale, inauguré entre les deux guerres mondiales et
poursuivi depuis, aboutit à enlever aux formes les plus courantes de la
corruption leur caractère criminel ; seules demeuraient punies de peines
criminelles deux formes extrêmement rares de corruption, mentionnées par les
articles 180 à 182 de l'ancien Code pénal : la corruption portant sur un fait
frappé lui-même d'une peine criminelle et la corruption à un juge statuant en
matière criminelle.
42. – Code pénal actuel. - Les acquis de l'évolution législative qui vient d'être
retracée ont été recueillis par le nouveau Code pénal. La corruption a conservé
sa nature d'infraction correctionnelle et ses divers aspects recouvrent le
même domaine large, conquis au cours des années précédentes. Mais, ainsi qu'il
a été expliqué précédemment (V.
supra n° 4), les textes consacrés à la corruption
sont maintenant répartis en divers endroits : la corruption passive commise
par des personnes investies d'une fonction publique dans l'article 432-11
ici commenté, la corruption active imputée à des particuliers dans l'article
433-1, la corruption passive et active des magistrats dans l'article 434-9,
enfin, dans l'article 441-8, la corruption concernant les personnes qui délivrent
des attestations ou des certificats inexacts.
2 ) Évolution des textes concernant le trafic d'influence
43. – Origine législative du délit. - Le trafic d'influence n'est puni en France que depuis
la loi du 4 juillet 1889. Sans
vouloir rechercher les précédents de cette infraction dans le droit romain où ils
paraissent incertains, ni même chez les auteurs de l'ancien droit français,
parmi lesquels seul Jousse paraît avoir eu une vue précise
de ce genre d'infraction qu'il appelle malversation (V. sur ces précédents J.
Chevallier, De la notion de trafic d'influence, étude
de droit français et le droit italien comparés : RID pén.
1935, p. 27 s.), il faut rattacher l'incrimination dont il s'agit aux
lacunes que des scandales retentissants révélèrent à la fin du XIXe siècle dans la législation française.
44. – Hésitations jurisprudentielles. - De ces scandales, le plus connu fut celui auquel se
trouvèrent mêlés des parlementaires, dont le député Wilson, gendre du Président
de la République Jules Grévy : ces hommes politiques trafiquaient ouvertement
de leur influence pour faire accorder des décorations ; d'autres personnages
haut placés (ainsi un général, sous-chef d'état-major) se faisaient
payer leur crédit auprès des autorités publiques (M. Garçon, Histoire de la
justice sous la IIIe République, t. II, Fayard, p. 69
s.). Diverses décisions rendues au cours des années 1887 et 1888 admirent
que ces faits pouvaient être regardés comme constitutifs d'escroquerie (CA
Paris, 3 janv. 1888 : S. 1889, 2, p. 84 ; DP 1888, 2, p. 154. – CA Paris, 26 avr. 1888
: DP 1888, 2, p. 159 et sur pourvoi, Cass. crim., 28
juill. 1888 : Bull. crim., n° 256 ; S. 1889, 1, p. 185,
note E. Villey. – V. aussi Cass. crim.,
6 janv. 1888 : Bull. crim., n° 6 ; S. 1889, 1, p. 185,
note E. Villey ; DP 1888, 1, p. 92).
Pourtant un arrêt de la Cour
de Paris relaxa Wilson des poursuites en escroquerie dont il était l'objet (CA
Paris, 26 mars 1888 : S. 1889, 2, p. 87 ; DP 1888, 2, p. 155) et
cette relaxe révéla les imperfections de la législation française en la matière.
les textes relatifs à la corruption ne réprimaient, en
effet, à cette époque, que le trafic des actes de la fonction, imputés aux
fonctionnaires et à certaines personnes assimilées. Mais le trafic de l'influence
qu'un fonctionnaire ou, plus encore, un homme politique peut avoir auprès des
autorités gouvernementales, départementales ou communales ne porte pas sur les
actes de la fonction.
45. – Cheminement législatif. - Les divers projets et propositions de lois, soumis au
Parlement, aboutirent à la loi du 4
juillet 1889. Rejetant l'assimilation à l'escroquerie souhaitée par
certains parlementaires (R. Garraud, op. cit., t. IV, n° 1527, note 42, étudie et critique ce point
de vue), le Parlement préférera faire du trafic d'influence une variété de
la corruption, puisqu'il s'agit essentiellement d'un fait dirigé contre le bon
fonctionnement de l'Administration et qui jette le discrédit sur cette dernière.
Les dispositions légales
relatives au trafic d'influence furent remodelées et élargies par la loi du 16 mars 1943 (qui correctionnalisait la
corruption des fonctionnaires), et placées, pour l'aspect passif de
l'infraction, dans l'article 178 du code et dans l'article 179 pour son aspect
passif.
46. – Code pénal actuel. - Les rédacteurs du nouveau Code pénal ont fondu, en une
même disposition, l'article 432-11 commencé dans le présent Fascicule, la
corruption de fonctionnaires et le trafic d'influence, envisagés en leur aspect
passif, et placé dans l'article 433-2 l'aspect actif du trafic d'influence
dirigé vers des personnes investies de fonctions publiques, en même temps
qu'ils plaçaient dans l'article 433-2 les diverses formes du trafic d'influence
commis entre de simples particuliers (
V. J.-Cl. Pénal Code, Art. 433-1 et 433-2).
b ) Aspects préventifs
47. – À côté
des moyens proprement répressifs mis en place dans le Code pénal pour frapper
les individus dont les agissements constituent le délit de corruption ou celui
du trafic d'influence, en leurs formes passives ou actives, le législateur a été
conduit, au cours de ces dernières années, à user d'autres procédés destinés à prévenir
les dévoiements possibles et la conclusion d'opérations suspectes,en
imposant des contrôles plus stricts et une transparence plus grande dans les
principaux secteurs de la vie politique, administrative et économique. Des
scandales récents, débouchant sur des délicates procédures correctionnelles,
ont révélé l'urgence d'une action préventive efficace en ce domaine.
48. – Rôle de certains organismes. - Sans doute une première action de prévention résulte-t-elle
des rôles confiés à la Cour des comptes, aux chambres régionales des comptes et
à la Cour de discipline budgétaire ou encore au Conseil de la concurrence et à la
mission interministérielle d'enquête sur les marchés. Dans l'exercice des
missions dont ces divers organismes sont chargés, peuvent non seulement être découverts
des faits constitutifs du délit de corruption, mais également signalées des
pratiques douteuses, des opérations occultes, des tractations susceptibles
d'engendrer des enrichissements frauduleux. Mais il faut reconnaître que
l'intervention de ces organismes n'a pas toujours eu l'efficacité préventive
que l'on pouvait en attendre.
49. – Rôle de certains textes législatifs. - À ce premier dispositif s'est ajouté, récemment, un
cortège de lois ayant pour objet d'introduire, dans les divers secteurs
politiques, administratifs, économiques et financiers, une plus grande
transparence et une action moralisatrice plus énergique. Il suffira de
rappeler, à cet égard, l'ensemble et la réglementation du financement des
campagnes électorales et des partis, établie par les deux lois n° 88-226 et n° 88-227
du 11 mars 1988 (JCP 1988, III, 61356
et 61357),complétées par la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 (JCP 1990, III, 63532), – le
renforcement de la structure et des pouvoirs de la Commission des opérations de
bourse par la loi n° 89-531 du 2 août 1989
(JCP 1989, III, 63009), – ou encore l'effort fait pour assurer la
régularité des procédures de marchés et la passation de certains contrats par
la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 (JCP1991,
III, 64460).À quoi l'on pourrait ajouter, parce qu'elle est susceptible
d'avoir des prolongements en matière de corruption, la loi n° 90-614 du 12
juillet 1990 (JCP 1990, III, 64045)
imposant à divers organismes financiers, publics ou privés, de participer à la
lutte contre le blanchiment des capitaux qui proviennent du trafic des stupéfiants,
en collaborant à l'action d'un service créé à cette fin (et appelé, dans la
pratique, TRACFIN).
50. – Importance de la loi du 29 janvier 1993. - Un dernier texte doit être cité, qui a pour ambition
de compléter et rendre plus efficace l'ensemble des lois précitées : il s'agit
de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 (JCP
1993, III, 65957. – Adde J.-L. Fourgoux,
Publicité, sursis pour la loi du 29 janvier
1993 : Gaz. Pal. 1994, 2, doctr. p. 827 s.) relative à la prévention de la corruption et à la
transparence de la vie économique et des procédures publiques. Préparée d'une
façon hâtive, à la fin d'une législature et en vue d'une échéance électorale toute
proche, cette loi a été précédée de débats
parlementaires confus et décevants ; le projet dont elle est issue a d'ailleurs
été vivement critiqué par le rapporteur au Sénat (Rapp. Bonnet : JO Sénat,
première session ordinaire 1992-1993, n° 61), parce qu'inutile et incohérent.
Mais ces critiques n'ont pas suffit à empêcher le vote de la loi.
51. – Centralisation policière des renseignements. - Pour l'essentiel et sans qu'il soit nécessaire d'en
exposer avec détail le contenu, la loi
du 29 janvier 1993 modifie les règles sur le financement des campagnes électorales
et des partis et cherche à promouvoir la transparence et la moralisation de
certains secteurs de l'activité économique (professions liées à la publicité,
opérations d'urbanisme commercial, délégations de services publics, marchés
publics, activités immobilières). Le texte crée d'autre part un service
central de prévention de la corruption, chargé de centraliser les
renseignements nécessaires à la détection et à la prévention des faits de
corruption et de trafic d'influence, de concussion et d'ingérence, et il élargit
la compétence du service TRACFIN, créé par la loi du 12 juillet 1990, à la lutte contre le
blanchiment de capitaux paraissant provenir « de l'activité d'organisations
criminelles » (organisations qui pourraient être, entre autres, des réseaux
profitant d'opérations facilitées par la corruption).
I . – ÉLÉMENTS
CONSTITUTIFS DE LA CORRUPTION PASSIVE ET DU TRAFIC D'INFLUENCE
52. – Composantes des deux délits. - Le nouveau Code pénal a placé dans l'article 432-11,
en une seule et même phrase, les deux incriminations de corruption passive et
de trafic passif. Cette technique législative met en évidence que certains éléments
constitutifs sont communs à l'un et l'autre délit, tandis que chacun possède
des éléments qui lui sont propres. Cette distinction inspirée par le texte sera
conservée dans les lignes qui suivent.
A . – Éléments
communs aux deux délits
53.
– Énumération des éléments communs. - Au
titre des éléments constitutifs communs à la corruption et au trafic
d'influence, il faut citer d'abord la qualité de la personne corrompue
ou qui trafique de l'influence, vraie ou supposée, dont elle se prévaut ou
qu'on lui attribue. Vient ensuite l'ensemble des moyens qui révèlent la
corruption ou le trafic d'influence et qui sont de nature à lui donner corps.
54.
– Intention coupable. - Il est un élément
que l'article 432-11 ne mentionne pas et d'ailleurs n'a pas à mentionner,
puisqu'il résulte de la disposition générale de l'article 121-3, selon laquelle
« il n'y a point de crime ou délit sans l'intention de le commettre :il s'agit de l'intention
frauduleuse qui, ici n'a pas d'existence autonome, car elle est contenue
implicitement dans la combinaison des autres éléments. Il est en effet
impossible de ne pas regarder comme animée d'une volonté coupable la personne dépositaire
de l'autorité publique, ou chargée d'une mission de service public, ou investie
d'un mandat électif public, qui se détermine, par l'effet d'un avantage
personnel, à accomplir ou à ne pas accomplir l'acte auquel elle est tenue, ou à
abuser de son influence auprès d'une autorité ou d'un administration
publique (V. pour l'aveu formulé par
le prévenu, Cass. crim., 21 mai 1997 : Bull. crim., n° 193, dans la poursuite exercée contre le
directeur d'un office d'HLM pour infraction à l'article, art. L. 423-11 du Code
de la construction et de l'habitation infraction dont les éléments sont
identiques à ceux du délit de l'article 432-11).
1 ° Qualité du coupable
55. – Dispositions législatives. - Pour désigner les coupables du délit de corruption passive, l'ancien
article 177 (al. 1er) donnait une énumération que les réformes
successives du texte avaient progressivement enrichie. Étaient expressément
visées les personnes investies d'un mandat électif, les fonctionnaires publics
de l'ordre administratif et judiciaire, les agents et préposés d'une administration
publique ou d'une administration placée sous le contrôle de la puissance publique,
les militaires et assimilés, les citoyens chargés d'un ministère de service
public, les arbitres et les experts, enfin les membres des professions médicales.
Ayant rejeté en d'autres dispositions la corruption passive dont pourraient
se rendre coupables les magistrats et celle qui peut
être imputée aux membres des professions médicales ou, plus généralement,
aux personnes qui, dans l'exercice de leur profession, établiraient des certificats
inexacts, les rédacteurs du nouveau Code pénal
ont limité le domaine d'application de l'article 432-11 aux seules personnes
exerçant une fonction publique; plus précisément le texte ne concerne
que les personnes dépositaires de l'autorité publique, les personnes chargées
d'une mission de service public, et celles enfin qui sont investies d'un mandat
électif public.
56. – Les deux premières
expressions légales sont employées à de très nombreuses reprises dans les
livres II, III et IV du nouveau code ; bien qu'elles soient mises ici sur le même
plan pour l'application des pénalités frappant la corruption passive et le
trafic d'influence passif (à la différence
de ce qui a lieu en matière d'outrage, art. 433-5),il est cependant nécessaire de définir
exactement ce que chacune d'elles recouvre, puisqu'en dehors d'elles les délits
ne seraient pas constitués.
57. – On entend par« dépositaire
de l'autorité publique »la personne qui est titulaire d'un pouvoir de décision
et de contrainte sur les individus et les choses, pouvoir qu'elle manifeste
dans l'exercice des fonctions, permanentes ou temporaires, dont elle est
investie par délégation de la puissance publique. Par son ampleur, cette définition
englobe les représentants de l'État et des collectivités territoriales, les
fonctionnaires de l'ordre administratif et spécialement les représentants de la
force publique, les officiers ministériels et diverses personnes qui, sans
avoir la qualité de fonctionnaire, exercent des fonctions d'autorité. À cet égard,
les personnes « investies d'un mandat
électif public », ajoutées sans doute pour plus de précision à l'article 432-11,
ne sont autres que les dépositaires de l'autorité publique.
Quant à la « personne
chargée d'une mission de service public », elle peut être définie comme la
personne qui, sans avoir reçu un pouvoir de décision ou de commandement dérivant
de l'exercice de l'autorité publique, est chargée d'accomplir des actes ou
d'exercer une fonction dont la finalité est de satisfaire à un intérêt général.
58. – Des exemples,tirés de
l'abondante jurisprudence publiée en application de l'ancien article 177,
illustreront les définitions qui précèdent, après quoi il importera d'envisager
le problème, commun à toutes les personnes relevant de l'une et l'autre catégorie,
de savoir quelle influence exerce, sur l'existence des délits de corruption ou
de trafic d'influence, la nullité ou l'irrégularité de l'acte qui a investi
l'intéressé de la fonction dont il trafique.
a ) Personnes dépositaires de l'autorité publique
1 ) Représentants de l'État et des collectivités
territoriales
59. – Parmi les personnes
appartenant à ce premier groupe et qui possèdent à un haut niveau la qualité de
dépositaire de l'autorité publique, il importe de citer le président de la République,
les ministres, secrétaires d'État et sous-secrétaires d'État (Cour des Pairs, 17 juill. 1847 : S. 1847,
2, p. 513 ; DP 1847, 2, p. 213. – Dans l'affaire du canal de Panama, Cass. crim., 24 févr. 1893 : Bull. crim.,
n° 49 ; S. 1893, 1, p. 217, concl. Boudouin, note E. Villey ; DP 1893,
1, p. 393), les préfets et sous-préfets, ainsi que les représentants
de la France auprès d'organismes internationaux (ONU, BIT, etc.) ou auprès
de pays Étrangers : ambassadeurs,consuls, chargés de mission...
60. – À ce groupe il faut
ajouter les personnes qui tiennent leur pouvoir d'un mandat électif public. La
doctrine avait discuté autrefois du point de savoir si l'on pouvait les
poursuivre pour des actes de corruption (l'opinion
négative avait été soutenue par R. Garraud, op. cit.,
t. IV, n° 1522. – E. Garçon, op. cit., art. 177, n° 22. – E. Villey, note : S. 1893, 1, p. 217), mais la
jurisprudence n'avait pas hésité à étendre l'ancien article 177 à ces élus : ainsi
un membre du conseil municipal de Paris (Cass.
crim., 29 mai 1886 : Bull. crim.,
n° 199 ; S. 1886, 1, p. 489 ; DP 1887, 1, p. 238); ... pour des membres du
Sénat ou de la Chambre des députés (Cass.
crim., 24 févr. 1893 : Bull. crim.,
n° 49 ; S. 1899, 1, p. 217, concl. Baudouin, note E. Villey ; DP 1893, 1, p. 494); ... pour un maire (Cass. crim., 19 avr. 1894 : Bull. crim., n° 101);
... puis plus tard pour un conseiller général (Cass. crim., 3
nov. 1933 : Bull. crim., n° 200 ; DH 1933, p. 573 ;
Gaz. Pal. 1933, 2, p. 972).
61. – Solution d'une difficulté ancienne. - La difficulté avait été levée par l'ordonnance du 8 février
1945 en faveur d'une extension de l'ancien article 177 aux élus. L'expression «
personne (...) investie d'un mandat électif public », employée par
l'article 432-11, très proche de celle utilisée en 1945 ( « personne
investie d'un mandat électif ») désigne non seulement les membres des
grands corps nationaux (Sénat, Assemblée nationale) mais aussi les
personnes qui font partie des assemblées régionales, départementales et
communales. Il en irait de même pour ceux des citoyens français qui sont
membres élus du Parlement européen.
On pourrait également
appliquer l'article 432-11 aux présidents et membres élus de certains établissements
publics administratifs, tels que les chambres de commerce et d'industrie,
chambres d'agriculture, chambre des métiers
(pour le cas du président d'une chambre des métiers, Cass. crim., 8
mars 1965 : Bull. crim., n° 83 ; JCP G 1966, IV, p. 58).
2 ) Fonctionnaires de l'ordre administratif
62. – Généralité de la notion de fonctionnaire. - L'article 177 de l'ancien code rangeait, au nombre des
personnes à qui pouvait être reprochée une corruption, les fonctionnaires
de l'ordre administratif ou judiciaire, agents et préposés des
administrations publiques. Si l'on écarte du commentaire les « fonctionnaires
de l'ordre judiciaire », c'est-à-dire les magistrats, qui relèvent
maintenant de l'article 434-9 en cas de corruption commise par eux,
l'article 432-11 comprend, comme le faisait autrefois l'article 177 dans sa
terminologie élargie, tous les membres de l'administration, à quelque place
qu'ils se trouvent situés dans la hiérarchie, dès lors qu'ils exercent, sous
l'impulsion et la surveillance de leurs supérieurs des attributions de puissance
publique dans l'ordre administratif (R.
Garraud, op. cit., t. IV, n° 1522. – E. Garçon, op. cit.,
1re éd., art. 177, n° 20 s. – R. Vouin et Mme Rassat, Droit pénal spécial : Dalloz, 6e éd. 1988, n° 485.
– J. Vassogne et C. Bernard : Rép. pén.
Dalloz V° Corruption, n° 13. – Ch. Bourgeois : thèse Paris 1902, p. 26 s.
– Comp. déjà les réquisitions du procureur général Dupin, dans
l'affaire Hourdequin : Rép. pén.
Dalloz V° Forfaiture, n° 111).
Tirés des applications
jurisprudentielles antérieures à 1993, les exemples qui vont être cités gardent
leur valeur pour l'application du nouveau Code pénal, dans la mesure toutefois
où ils ne concernent pas des fonctionnaires placés à un niveau trop modeste de
la hiérarchie, et que l'on ne pourrait regarder comme dépositaires de l'autorité
publique, mais seulement comme des personnes chargées d'une mission de service
public.
63. – L'article 432-11 pourra
être appliqué aux membres de l'enseignement (Comp. pour la
corruption active, Cass. crim., 16 oct. 1985 : Gaz. Pal. 1986, 1, p. 152, concernant un étudiant
qui avait tenté, sans succès, de corrompre un professeur des Facultés de droit
afin d'obtenir de lui une note satisfaisante à un examen de DEUG);
Il concerne aussi les membres
des administrations fiscales, par exemple au fondé de pouvoirs d'un receveur
des contributions directes (Cass. crim., 6
janv. 1922 : Bull. crim., n° 7),à un inspecteur
de la même administration (Cass. crim., 28 mars 1955 : Bull. crim.,
n° 181 ; JCP 1955GIV, p. 77. – 14 mai 1986 : Bull. crim.,
n° 163 ; Rev. sc. crim. 1987,
p. 685, obs. J.-P. Delmas-Saint-Hilaire), à un
agent de contributions indirectes (Cass.
crim., 12 avr. 1923 : Bull.
crim., n° 149), à un employé d'octroi (Cass. crim., 24
mai 1867 : Bull. crim., n° 128),à des
fonctionnaires des douanes (Cass. crim., 26 déc. 1919 : Bull. crim.,
n° 287. – CA Douai, 24 févr. 1845 : DP 1845,
4, p. 116), à un administrateur civil de l'agence judiciaire du Trésor (Cass. crim., 6
févr. 1969 : Bull. crim., n° 67 ; Rev.
sc. crim. 1969, p. 871, obs. A. Vitu).
64. – Sont également concernés
les fonctionnaires des services de police, par exemple le directeur de
la police judiciaire (Cass. crim., 5
janv. 1933 : Gaz. Pal. 1933, 1, p. 411),les commissaires de police (Cass. crim., 22
févr. 1855 : Bull. crim., n° 54. – 13 juill. 1934 : DH
1934, p. 510. – T. corr. Nanterre, 28 avr. 1989, aff. Jobic : Gaz. Pal. 1989, 2, p.
857, concernant un commissaire relaxé après des poursuites intentées sur la
plainte non fondée d'un individu peu recommandable), les inspecteurs de
police (Cass. crim.,
7 sept. 1935 : Gaz. Pal. 1935, 1, p. 694. – 13 déc. 1945 : Bull. crim., n°
145 ; JCP G 1946, IV, p. 17. – 17 nov. 1955 : Bull. crim., 494. – T. corr. Saint-Lô,
22 janv. 1947 : Gaz. Pal. 1947, 1, p. 92), les agents de police (Cass. crim., 31 janv. 1902 : Bull.
crim., n° 43. – 17 juill. 1924 : Bull. crim., n° 290. – 10 juin 1948 : Gaz. Pal. 1948, 2, p. 35. – 28 janv.
1987 : Bull. crim., n° 47 ; Rev. sc. crim. 1987, p. 685, obs. J.-P. Delmas-Saint-Hilaire. – T. corr. Castres, 6 nov. 1946 : JCP
G1946, II, 3347, note R.A.), un agent auxiliaire de la sûreté qui n'avait pas
encore prêté serment (Cass. crim., 16
nov. 1906 : Bull. crim., n° 406 ; Gaz. Pal. 1906, 2,
p. 476), les gardes champêtres (arrêts
nombreux cités par E. Garçon, op. cit., 2e éd., art. 177, n° 43, et notamment
Cass. crim., 16 sept. 1920 : Bull. crim., n° 124. – 6 déc. 1951 : D. 1952, jurispr.,
p. 90 ; S. 1952, p. 122), les gardes particuliers (Cass. crim., 19
août 1826 : Bull. crim., n° 162. – CA Bordeaux, 17 juin 1952 : JCP G 1952, IV, p. 159)
[l'arrêt, à propos d'un garde-chasse commissionné par une société de chasse,
parle d'un citoyen chargé d'un ministère de service public], les gardes
forestiers (Cass. crim.,
23 avr. 1813 : S. 1813, 1, p. 338),un garde du
bois de Boulogne (CA Paris, 17 mars et 16 juin 1922 : DP 1922, 2,
p. 145, note G. Leloir et, sur pourvoi, Cass. crim., 6
janv. 1923 : D. 1923, 1, p. 238 ; Gaz. Pal. 1923, 1, p. 203), les brigadiers-cantonniers
(Cass. crim., 19 juill. 1855 : Bull. crim., n°
254),un éclusier garde-pêche (CA Paris, 5 janv. 1889 : Gaz. Pal. 1889, 1, p. 110),
un juge de paix agissant en qualité d'officier de police judiciaire (Cass. crim., 2 avr. 1875 : Bull. crim., n° 107 ;
S. 1876, 1, p. 185 ; DP 1875, 1, p. 489),les gendarmes, qui sont déjà visés
par la loi au titre de militaires (CA
Nîmes, 27 déc. 1852 : S. 1853, 2, p. 11 ; DP 1853, 2, p. 108. – Comp. T. enfants Sarreguemines, 11 mai 1967 : JCP G 1968,
II, 15359, note P.-A. Sigalas ; Rev.
sc. crim. 1968, p. 329, obs.
A. Vitu).
65. – Il en est de même pour
les fonctionnaires des PTT (CA Nancy, 4 juin 1908 : S. 1910, 2, p. 147 ; DP 1908,
2, p. 277 et, sur pourvoi, Cass. crim., 28 janv. 1909 : Bull. crim., n°
55 ; S. 1913, 1, p. 474 ; Gaz. Pal. 1909, 1, p. 330),des Ponts et Chaussées (Cass. crim., 12
juin 1886 : Bull. crim., n° 220 ; S. 1886, 1, p. 492
; D. 1887, jurispr. p. 140. – 8 févr. 1966 : Bull. crim., n° 35 ; JCP G 1966, IV, p. 42. – 14 oct. 1975 : Bull.
crim., n° 214 ; JCP G1975, IV, p. 354 ; D. 1975, inf.
rap. p. 232 ; Gaz. Pal. 1976, 1, somm. p. 46 ; Rev. sc. crim.
1976, p. 214, obs. A. Vitu), de l'administration
de l'Équipement (Cass. crim., 1er oct. 1984 : Bull. crim.,
n° 277),des services du ministère du travail (Cass. crim., 19
févr. 1953 : Bull. crim., n° 59 ; D. 1953, jurispr. p. 284 ; JCP G1953, IV, p. 53),de
l'administration de l'agriculture (Cass.
crim., 19 mars 1991 : Bull. crim.,
n° 133),du génie rural (Pour un
chef du service des carburants, T. corr., Laval 9 janv. 1948 : JCP G1948, II, 4375,
note G. Lhérondel), de l'administration pénitentiaire (Pour des gardiens de prison, Cass. crim., 23 févr. 1882 : Bull. crim.,
n° 52 ; S. 1884, 1, p. 351. – T. corr. Le Mans, 5 juill. 1946 : JCP G1946, II, 3362,
note M. Schuler ; Gaz. Pal. 1946, 2, p. 153), des
préposés du ministère des travaux publics
(Pour un inspecteur du service des permis de conduire, nommé par
l'Union des associations de tourisme et accrédité par le ministère, Cass. crim., 11
janv. 1956 : Bull. crim., n° 38 ; Rev.
sc. crim. 1956, p. 539, obs. L. Hugueney),
le directeur de l'Office national du tourisme (Cass. crim., 22
avr. 1937 : Gaz. Pal. 1937, 2, p. 272).
66. – Les fonctionnaires
et agents de services du ravitaillement ne sont pas exclus de ces
dispositions (Cass. crim., 11 nov. 1921 : Bull. crim.,
n° 420 ; DP 1922, 1, p. 129. – CA
Limoges, 23 mai 1946 : JCP G 1946, II, 3362, note M. Schuler
; S. 1947, 2, p. 73, note A. Piot. – T. corr. Pau, 4 sept. 1946 : JCP G 1946,
II, 3362, note M. Schuler et, sur appel CA Pau, 28 oct. 1946 : S. 1948, 2, p. 57, note J.-A.
Roux. – CA Pau, 20 janv. 1948 : S. 1948,
2, p. 57, note J.-A. Roux ; JCP G 1948, II, 4186, note A. Laurens et J. Seignolle. – V. aussi Cass. crim., 1er juill. 1948
: Bull. crim., n° 172. – 14 janv. 1949 : Bull. crim., n° 9 ; JCP G 1949, II, 4866, note A. Colombini.
– 20 janv. 1949 : Bull. crim., n° 21).
67. – Les fonctionnaires
et agents des préfectures, sous-préfectures et mairies sont pareillement
visés : ainsi pour le secrétariat général d'une mairie (CA
Grenoble, 17 nov. 1972 : Gaz. Pal. 1973, 1, somm.
p. 155), pour un chef de bureau de mairie
(Cass. crim., 17 juill. 1828 : Bull. crim., n° 209. – 10 oct. 1828 : S. 1828, 1, p. 175), pour
des employés de bureau (Cass. crim., 30 sept. 1836 : Bull. crim.,
n° 327. – 7 janv. 1843 : Bull. crim., n° 1 ; S. 1843,
1, p. 73. – 25 nov. 1875 : Bull. crim., n° 329. – 7
juill. 1949 : Bull. crim., n° 229. – 4 juill. 1974 : Bull. crim., n° 249
; D. 1974, inf. rap. p. 204 ; Rev. sc. crim. 1975, p. 411, obs. A. Vitu),
pour le directeur ou les employés d'hôpitaux
départementaux (Cass. crim., 6 févr. 1968 : Bull. crim.,
n° 37 ; Rev. sc. crim. 1968, p. 850, obs. A. Vitu. – 21 nov. 1977 : Bull. crim., n° 356 ;
JCP G 1978, IV, p. 28 ; D. 1978, inf. rap. p. 139 ; Rev. sc. crim. 1978, p.
623, obs. A. Vitu).
3 ) Officiers publics et ministériels
68. – Officiers ministériels. - Les
officiers publics et ministériels sont institués comme intermédiaires ou
mandataires des particuliers, et bénéficient d'un monopole pour accomplir, dans
l'intérêt de ceux-ci des actes officiels ; ils ont reçu le droit de transmettre
leurs charges à des successeurs qu'ils présentent à l'agrément du gouvernement.
L'ancien article 177 avait été appliqué à un huissier, chargé de l'exécution
d'une contrainte par corps (Cass. crim., 8
juill. 1813 : S. 1813, 1, p. 391).
En ce
qui concerne les greffiers, qui sont devenus des fonctionnaires
depuis la fonctionnarisation des greffes par la loi
du 30 novembre 1965, les faits de corruption qui pourraient leur être
imputés ressortiraient, non à l'article 432-11 du Code pénal actuel, mais
à l'article 434-9 (al. 1er), qui réprime la corruption passive des
magistrats, des jurés et de toute « autre personne siégeant
dans une formation juridictionnelle »; les greffiers sont en effet parties
intégrantes des juridictions auprès desquelles ils exercent leurs fonctions.
Le même article 434-9 (al. 1er) s'appliquera aux greffiers des tribunaux
de commerce qui ont échappé à la fonctionnarisation en 1965 et ont conservé
la qualité d'officiers publics et ministériels
(COJ, art. L. 821-1).
4 ) Autres personnes exerçant des fonctions d'autorité
69. – Militaires. - Parmi les
autres personnes à qui sont confiées des fonctions d'autorité et qui, pourtant,
n'ont pas toutes la qualité de fonctionnaires, il faut compter les militaires
et assimilés, que la loi du 16 mars 1943
avait spécialement placés dans l'énumération de l'ancien article 177, entérinant
ainsi une jurisprudence ancienne, à laquelle il est possible de se référer
encore maintenant.
70. – Exemples. - Avant 1943,
la Cour de cassation avait déclaré les peines de la corruption applicables à un
capitaine d'habillement membre du conseil d'administration du régiment (Cass. crim., 18
juill. 1889 : Bull. crim., n° 260 ; S. 1890, 1, p. 287
; DP 1889, 1, p. 385), à un sergent chargé par l'officier d'armement de
faire fabriquer des cartouches (Cass.
crim., 15 oct. 1851 : Bull. crim.,
n° 462),aux sous-officiers et soldats employés comme secrétaires dans les
bureaux du capitaine-major du régime (Cass. crim., 20
août 1857 : Bull. crim., n° 308 ; S. 1858, 1, p. 81 ;
DP 1857, 1, p. 411), à un officier et à un sous-officier chargés des
fonctions de chef de district et de chef de poste à Madagascar (Cass. crim., 12
déc. 1925 : Bull. crim., n° 345),à un soldat,
secrétaire au courrier du Gouvernement militaire de Paris (Cons. révision Paris, 18 juin 1919 : DP 1919,
2, p. 20).
Il importe peu qu'il s'agisse d'un militaire de l'active ou d'un
militaire appartenant à la réserve ou à la disponibilité, pendant son temps de
présence sous les drapeaux (à l'occasion d'une période, d'un rappel de
contingent ou d'une mobilisation).
71. – Dans le même groupe,
on pourrait également citer les examinateurs du permis de conduire, mis à la
disposition du préfet, après convention entre le ministère de l'équipement et
l'UAT, association reconnue d'utilité publique, et qui ont pouvoir de délivrer
des certificats valables pendant un mois;
... les agents assermentés de la SNCF, habilités à relever des infractions à la
police des chemins de fer, ainsi que les agents assermentés de la RATP;
... le vétérinaire assermenté, directeur d'un abattoir public et chargé de
contrôler la salubrité de la viande;
... les présidents et assesseurs des bureaux de vote.
b ) Personnes chargées d'une mission de service public
72. – Une personne doit être
rangée dans la catégorie des personnes chargées d'une mission de service public
au sens de l'article 432-11, lorsqu'il résulte de son statut légal ou réglementaire
que, sans disposer de pouvoirs qui lui seraient conférés en vertu d'une délégation
de la puissance publique, elle est cependant chargée à titre permanent ou
temporaire, d'exercer une fonction ou d'accomplir des actes qui ont pour but de
satisfaire à un intérêt général. Quelques exemples permettront d'illustrer cette
formule abstraite.
Parmi ces exemples, on citera
: les syndics de faillite, devenus administrateurs judiciaires et
mandataires-liquidateurs par l'effet de la loi
n° 85-99 du 25 janvier 1985 (Cass. crim., 23
janv. 1973 : Bull. crim., n° 29 ; JCP G 1973, IV, p. 93
; D. 1973, inf. rap. p. 36 ; Gaz. Pal. 1973, 1, somm., p. 95 ; Rev. sc. crim.
1973, p. 684, obs. A. Vitu);
- les séquestres, les gardiens de scellés, les interprètes (Cass. crim., 11 mai 1876 : Bull. crim., n° 117 ; S. 1876, 1, p. 435 ; DP 1877, 1, p. 462).
- les clercs d'huissiers procédant à la signification d'actes ou assistant
leurs patrons, huissiers de justice, dans les actes de leur ministère.
- un inspecteur principal de la RATP, intervenant dans l'octroi de travaux à des
entreprises (Cass. crim., 2 avr. 1998 : D. 1998, inf. rap. p. 150).
73. – Membres de diverses commissions ou organismes. - À
cette liste, il faut ajouter les personnes qui font partie de diverses
commissions instituées officiellement et chargées de donner des avis à l'autorité publique ou de statuer elles-mêmes
sur des demandes, des dossiers, des projets, qui nécessitent des autorisations,
des agréments ou des habilitations officielles.
Dans cette catégorie
prendront place, par exemple, les membres des commissions départementales et de
la commission nationale d'équipement commercial instituées par la loi n° 93-122
du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la
transparence de la vie économique et des procédures publiques (art. 31 et s.);
... les membres des commissions régionales et de la commission nationale
des institutions sociales et médico-sociales créées par la loi n° 75-535 du 30
juin 1975 et régies par le décret n° 76-838 du 25 août 1976, et compétentes
pour donner leur avis sur les projets de
création et d'extension de tous établissements recevant des mineurs ou des
majeurs inadaptés ou handicapés, des personnes âgées et des jeunes
travailleurs;
... les membres des commissions qui jouent un rôle central en matière de bourse
et de banque ; la Commission des opérations de bourse, le Conseil national du
crédit, le Comité de la réglementation bancaire, le Comité des établissements
de crédit et la Commission bancaire.
74. – La catégorie des personnes
chargées d'une mission de service public englobe enfin l'ensemble des
personnes que l'ancien article 177 désignait de l'expression « préposés et
agents des administrations placées sous le contrôle de la puissance publique » (catégorie insérée dans l'article 177 par
la loi du 16 mars 1943, validée par
l'ordonnance du 8 février 1945).
Les administrations dont il
s'agit ne sont pas des administrations publiques, au sens où l'entend le droit
administratif, mais des organismes jouissant d'une autonomie de gestion plus ou
moins accusée, prenant corps dans des personnes juridiques différentes de l'État,
des départements ou des communes. Ces administrations comprennent notamment les
établissements publics, aux formes très variées (parmi lesquels figurent en
particulier les services d'assistance : hôpitaux, hospices..., les services à caractère
culturel ou d'enseignement, tels le Centre national de la recherche
scientifique ou les Universités, les chambres de commerce et d'industrie, les
chambres d'agriculture ou des métiers, les Académies, la Caisse des dépôts et
consignations, les divers offices nationaux : Office des céréales,
Office de l'azote, les sociétés d'économie mixte, les services industriels et
commerciaux), les services publics concédés ou les services assurés
par voie de gestion déléguée (par
exemple le service extérieur des pompes funèbres (CGCT, art. L. 2223-30 et s.).
Sur tous ces organismes, l'État exerce une surveillance plus ou moins étroite
et directe.
75. – On devrait également étendre
l'article 432-11 aux membres des entreprises placées sous le contrôle de la
puissance publique par voie de réquisition
(L. 11 juill. 1938 sur l'organisation de la Nation en temps de
guerre, art. 22 et 23).
Il a paru normal que les préposés
et les agents de toutes ces personnes morales, dont le statut se rapproche
sensiblement de celui des fonctionnaires publics, soient assimilés à ces
derniers quant aux obligations de fidélité et de probité.
76. – Rareté des décisions jurisprudentielles. - Les recueils de jurisprudence ont publié très peu de décisions
concernant ces catégories de personnes. On citera cependant le cas du chef de
service d'une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et
d'allocations familiales (Cass. crim., 21 janv. 1959 : Bull. crim.,
n° 59) et celui du président d'une chambre des métiers, établissement
public assurant la représentation des intérêts professionnels et économiques
des artisans (Cass. crim., 8 mars 1966 : Bull. crim.,
n° 83 ; JCP G 1966, IV, p. 58) : ce personnage pouvait également être
regardé comme investi d'un mandat électif.
77. – Limites de la notion. - Au
contraire la chambre criminelle avait refusé de retenir les dispositions de
l'article 177 du Code pénal contre
le président d'une société anonyme
de crédit immobilier, organisme qui ne saurait être regardé comme une
administration placée sous le contrôle de la puissance publique, mais que le décret du 26 juillet 1954 portant Code de
l'urbanisme rangeait dans la catégorie des organismes d'habitation à loyers modérés
; d'ailleurs l'article 85 de ce décret
avait érigé en un délit spécial, puni de peines moins fortes que celles
contenues, à l'époque dans l'article 177, la corruption des administrateurs des
organismes d'HLM (Cass. crim., 13 juill. 1966 : Bull. crim.,
n° 201 ; JCP G 1966, IV, p. 129). L'article 185 est devenu l'actuel article
L. 423-11 du Code de la construction et de l'habitation, qui puni d'un
emprisonnement de trois ans au plus et d'une amende de 60 000 F au plus les
administrateurs des organismes d'HLM et toute personne employée par des
organismes, qui recevraient, directement ou non et sous quelque forme que ce
soit, un avantage quelconque de la part de personnes intervenant dans les
ventes ou échanges d'immeubles avec les organismes précités, ou avec leurs
clients, ainsi que de la part d'architectes, entrepreneurs ou fournisseurs
travaillant avec ces organismes.
c ) Irrégularité dans la situation de la personne
corrompue
78. – L'application de
l'article 432-11 impose-t-elle que la personne visée par ce texte ait une situation
parfaitement légale ? Ou bien au contraire, peut-on admettre que des
poursuites sont possibles, même si une irrégularité s'est glissée dans la
nomination du fonctionnaire ou de la personne investie d'un mandat électif ? Le
problème n'est pas spécial à la matière de la corruption : il se pose en droit
pénal chaque fois qu'un titre ou qu'un acte, entaché d'illégalité ou de nullité,
est l'un des éléments constitutifs d'une infraction (Sur ce problème général,
M. Vasseur, Des effets en droit pénal des actes nuls ou illégaux d'après
d'autres disciplines : Rev. sc. crim.
1951, p. 1 s.).
79. – En matière de
corruption, les auteurs n'ont en général pas hésité à retenir la solution répressive (A. Blanche, Études sur le Code pénal, t. III,
n° 412. – E. Garçon, op. cit., 2e éd., art. 177, n° 49 s. – R. Garraud, op. cit., t. IV, n° 1523. – R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. III, n° 368. – M. Vasseur,
p. 16 s. – J. Vassogne et C. Bernard : Rép. pénal
Dalloz V° Corruption, n° 17. – Foulon : thèse Paris, 1948, p. 83 s.). Ils
s'appuient sur la notion d'apparence, qui permet tout à la fois de
justifier la solution et d'en indiquer les limites.
80. – Utilité de la notion d'apparence. - La notion d'apparence est consacrée par le droit pénal,
comme elle l'est également par le droit civil ou de droit commercial ; mais les
motifs de son admission, en droit pénal, diffèrent de ceux que les privatistes
invoquent pour justifier son utilisation dans leur propre domaine. Le droit pénal,
en effet, s'intéresse moins à la régularité objective des situations qu'aux
intentions réelles qui ont animé les coupables. En conséquence, les prévenus
ont pu ignorer légitimement l'irrégularité dont est atteinte la situation de la
personne corrompue et ils ont pu« croire à l'influence de sa position
apparente » : cela suffit, et les manoeuvres corruptrices accomplies sont
punissables parce que la corruption accomplie était dangereuse et que l'ordre
public a été troublé.
Mais lorsque l'apparence
n'existe plus, lorsque la personne ne pouvait pas se méprendre sur la situation
réelle du prétendu fonctionnaire et sur l'irrégularité de sa position, on ne
peut plus parler de corruption. Seule la qualification d'escroquerie pourrait
alors s'appliquer au fait de solliciter ou de recevoir des dons pour
l'accomplissement des actes d'une fonction alléguée faussement.
81. – On admettra donc, avec
la jurisprudence, que l'illégalité des opérations électorales ayant investi une
personne d'un mandat électif ne fait pas disparaître le délit de corruption, du
moins tant que ces opérations n'ont pas été déclarées nulles par l'autorité compétente (Cass. crim., 3 nov. 1933 : Bull. crim., n° 200 ; DH 1933, p. 573 ; Gaz. Pal. 1933, 2, p. 972,
pour un conseiller général de la Martinique, dont l'élection avait été invalidée
par le conseil contentieux de l'île, mais qui s'était pourvu contre la décision
devant le Conseil d'État, par un pourvoi suspensif, qui le laissait investi de
sa fonction). La solution est identique pour le fonctionnaire irrégulièrement
nommé (Cass. crim., 11 juin 1813 : Bull. crim., n° 127, pour un garde champêtre qui avait prêté serment
devant le maire et non devant le juge de paix, et qui était longtemps resté en
fonction sans réclamation), ou pour un individu remplissant les fonctions
de médecin-chef d'un hôpital militaire, sans pouvoir justifier d'une nomination
régulière (Cons. révision Paris, 13
juill. 1916 : Journ. Parquets 1916, 2, p. 1852, concl.
Augier).
2 ° Activité matérielle délictueuse
a ) Aspects de l'activité délictueuse
82. – Terminologie légale. - Deux
verbes servent à désigner, dans l'article 432-11 comme autrefois dans les
articles 177 et 178, l'attitude reprochée à la personne investie d'une fonction
publique et qui verse dans la corruption ou dans le trafic d'influence : le
coupable sollicite ou agrée des dons, des présents ou autres
avantages.
83. – Notion de sollicitation. - La sollicitation implique une démarche, une initiative de l'intéressé,
qui invite son interlocuteur, d'une façon directe ou par des moyens détournés,
à comprendre qu'il doit « payer » pour obtenir l'accomplissement ou le non-accomplissement de l'acte de la fonction ou de l'acte
facilité par elle, ou pour obtenir que soit mise en oeuvre l'influence dont le
coupable est prêt à trafiquer : directe ou indirecte, la simple sollicitation
d'avantages quelconques suffit à caractériser le délit de corruption passive ou
le trafic d'influence passif, qui est consommé dès l'émission de la
sollicitation. Il est donc sans importance que la sollicitation n'ait eu aucun
effet sur la personne visée, ou encore que l'avantage promis n'ait finalement
pas été versé (Cass. crim., 9 nov. 1995 : D. 1996, inf. rap. p. 13).
84. – Notion d'agrément. - Le
vocable « agrément » désigne tout à la fois l'acceptation, par le
corrompu, des offres qui lui sont faites, et aussi la réception des
dons ou présents promis, en exécution de l'accord de volontés qui s'est
formé entre le corrupteur et le corrompu, et dans lequel transparaît l'aspect
bilatéral de la corruption ou du trafic d'influence. Que la personne dépositaire
de l'autorité publique, ou chargée d'une mission de service public, ou investie
d'un mandat électif public, renonce ensuite à exécuter l'accord intervenu, que
même elle restitue les choses qu'elle avait reçues pour prix de sa corruption,
peu importe : le délit est définitivement consommé au moment même où les
consentements s'échangent entre corrupteur et corrompu.
85. – Interposition de personne. - De quelle façon la sollicitation ou l'agrément d'une rémunération
illicite doivent-ils être formulés ? Dans la ligne de la solution admise sous
l'empire de l'ancien article 177, les rédacteurs de l'actuel article 432-11 ont
précisé qu'il n'y a pas à distinguer : la sollicitation ou l'agrément peuvent être
exprimés « directement ou indirectement ».
En particulier, sera punissable la sollicitation, qui parviendrait au
destinataire par personne interposée (Comp. pour la corruption active, où la même solution
s'impose, Cass. crim., 5 mai 1916 : Bull. crim., n° 12
; DP 1921, 1, p. 63 ; S. 1920, 1, p. 140 ; dans la seconde espèce les coupables
étaient intervenus auprès de la femme du juge d'instruction pour obtenir de celui-ci une solution favorable
dans une information en cours).
86. – Difficultés d'application. - L'appréciation de l'interposition de personne pose d'ailleurs de délicats
problèmes de fait (aucune présomption légale d'interposition de personne
n'existe d'ailleurs en cette matière). Il faut, en effet, établir le rôle délictueux,
bien qu'indirect, joué par le fonctionnaire ; il ne suffirait pas d'établir que
la femme, ou le fils, du fonctionnaire a sollicité ou agréé des dons ou des
promesses, mais il faudrait apporter la preuve que le fonctionnaire lui-même a
poussé au marché, ou que, l'ayant connu il l'a approuvé. La seule circonstance
qu'ayant appris après coup les faits, il ne les a pas dénoncés à la justice, ne
paraît pas suffire à établir sa culpabilité : on comprend que le fonctionnaire
répugne à dénoncer un proche parent qui se trouvera impliqué comme complice
dans les poursuites (E. Garçon, op. cit., 2e éd., art. 177, n° 92).
87. – En ajoutant que la sollicitation
et l'agrément doivent avoir été formulés « sans droit » le législateur
ajoute une exigence qui pouvait s'expliquer pour la corruption des salariés des
entreprises privées, réglée autrefois par l'alinéa 2 de l'article 177, mais qui
n'a aucun sens dans le cas des personnes dépositaires de l'autorité publique,
ou chargées d'une mission de service public ou investies d'un mandat électif
public : autant sont licites les pourboires donnés à des salariés avec le
consentement de leurs employeurs, alors surtout que ces rémunérations, en général
modestes, interviennent postérieurement aux actes de l'emploi qu'elles servent à
récompenser, autant il apparaît anormal, voire répréhensible, qu'un
fonctionnaire puisse accepter ou solliciter, fût-ce avec l'accord d'un supérieur
hiérarchique, une somme en corrélation avec l'accomplissement d'un acte de la
fonction. Le législateur aurait été mieux inspiré de ne pas faire mention d'une
sollicitation formulée « sans droit ».
b ) Moyens générateurs de l'activité délictueuse
88. – L'important est
d'examiner avec quelque détail les choses (dons, présents ou autres
avantages) qui constituent le moteur de la corruption ou du trafic
d'influence. L'article 432-11 du Code pénal vise le fait de « solliciter
ou d'agréer, sans droit, directement ou indirectement, des offres, des
promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques ». Par cette
formule, pourtant très compréhensive, le législateur marque sa volonté de
laisser en dehors de ses prévisions le cas où le coupable aurait consenti à accomplir
ou à s'abstenir d'agir sur de simples prières, ou sur des recommandations, mais
sans tirer argent de son intervention.
89. – Cette précision préalable
étant donnée, l'étude des manoeuvres imputées au délinquant conduit à distinguer
deux problèmes distincts relatifs, respectivement, à la nature de la chose
offerte ou agréée, et à l'antériorité de ces moyens de corruption
par rapport à l'acte, l'abstention ou l'intervention.
1 ) Nature de la chose offerte ou agréée
90. – Choses matérielles offertes. - Les termes« offres, promesses, dons, présents ou avantages
quelconques » employés par la loi
doivent être entendus largement. Le législateur a voulu viser d'abord,
c'est évident, la remise de choses matérielles : immeubles (Cass. crim., 22 oct. 1997, aff. Carignon et autres : Bull. crim., n° 352 ; D. 1997, inf.
rap. p. 251 ; Dr. pén. 1998, comm. n° 16, obs. M. Véron) argent liquide
(V. notamment Cass. crim., 30 juin 1955 : Bull.
crim., n° 330 ; D. 1955, jurispr.
p. 655. – 17 nov. 1955 : Bull. crim., n° 494. – 6 févr.
1969 : Bull. crim., n° 67 ; Rev.
sc. crim. 1969, p. 871, obs. A. Vitu.
– 23 janv. 1973 : Bull. crim., n° 29 ; JCP G1973, IV,
p. 93 ; D. 1973, inf. rap. p. 36 ; Rev. sc. crim. 1973, p. 684, obs. A. Vitu.
– CA Paris, 14 janv. 1988 : Rev. sc. crim. 1989, p. 123, obs.
P. Bouzat. – T. corr. Nanterre, 28 avr. 1989 : Gaz. Pal. 1989, 2, p. 857, affaire Jobic, dans laquelle la réception prétendue d'argent liquide
par le commissaire de police poursuivi pour corruption n'a pu être établie et
ses détracteurs ont été confondus), billets à ordre, chèques ou versements
dissimulés sous une opération bancaire (Cass.
crim., 5 janv. 1933 : Gaz. Pal. 1933, 1, p. 411. – 22
avr. 1937 : Gaz. Pal. 1937, 2, p. 272),objets précieux (Cass. crim., 7
janv. 1808 : Bull. crim., n° 3), marchandises
diverses (bois de chauffage, Cass. crim., 16 janv. 1812 : Bull. crim.,
n° 8, ou arbustes, Cass. crim., 4 juill. 1974 : Bull. crim., n° 249 ; D. 1974, inf. rap. p. 204 ; Rev. sc. crim. 1975, p.
411, obs. A. Vitu), objets dérobés par le corrupteur ou sur lesquels il
trafiquait (pièces d'or, Cass. crim., 13 déc. 1945 : Bull. crim.,
n° 145 ; JCP G 1946, IV, p. 17).
Peu importe que le corrompu
ait sollicité de l'argent pour rémunérer prétendument l'intervention d'un
tiers, et ait en fait conservé pour lui les sommes remises : il a bien reçu des
dons ou des présents au sens de l'article 177 du Code pénal, même si l'animus donandi
qui poussait les victimes s'appliquait, non à lui, mais à des personnes tierces
; d'ailleurs les mots « dons et présents » ne revêtent pas ici le sens étroit
qu'ils ont en droit civil, car le corrupteur espère bien recevoir, en Échange
de ce qu'il remet, une contrepartie, qui détruit le caractère gratuit de son
propre geste (Comp.
pour le trafic d'influence T. corr. Seine, 1er juill. 1958 : Gaz. Pal. 1958, 2,
p. 235).
91. – Remise indirecte. - Il
faut englober aussi dans l'expression légale les versements indirects
consistant par exemple, en l'acquittement de dettes de la personne
corrompue (Pour le paiement d'une
note de tailleur, Cass. crim., 7 sept. 1935 : Gaz. Pal. 1935, 2, p. 694),ou la réception
d'un pourcentage sur certains bénéfices escomptés par le corrupteur (Cass. crim., 14
janv. 1949 : Bull. crim., n° 9 ; JCP G 1949, II, 4866,
note A. Colombini ; D. 1949, jurispr.
p. 96), en l'ouverture d'un crédit de banque (Cass. crim., 15
déc. 1923 : Bull. crim., n° 434),ou en l'octroi
d'un prêt au fonctionnaire corrompu (Cass.
crim., 27 août 1896 : Bull. crim.,
n° 277),en des fournitures à des prix très bas dans un magasin (Cass. crim., 6
févr. 1968 : Bull. crim., n° 39 ; Rev.
sc. crim. 1968, p. 850, obs. A. Vitu),
en des travaux sur un terrain appartenant au fonctionnaire (Cass. crim., 4
juill. 1974, préc.).
92. – Remise de tous avantages. - Sous l'empire des textes anciens, on s'était demandé si la chose
offerte pouvait consister, non seulement en de l'argent ou en des objets matériels
mais aussi, plus généralement, en tout avantage quelconque, matériel,
intellectuel ou social, pour le coupable ou pour toute autre personne. La Cour
de cassation avait refusé de s'engager dans cette voie : dans une affaire où un
fonctionnaire des Ponts et Chaussées avait menacé un entrepreneur de l'exclure
de tous les marchés de travaux publics de cette administration s'il ne procédait
pas au licenciement d'un de ses employés, il avait été jugé qu'on ne pouvait
pas tenir pour une sollicitation punissable la recherche, par le fonctionnaire
poursuivi, d'un avantage purement subjectif consistant en l'espèce en « l'assouvissement d'une haine » (Cass. crim., 14
oct. 1975 : Bull. crim., n° 356 ; JCP G 1978, IV, p. 28
; D. 1978, inf. rap. p. 139 ; Gaz. Pal. 1978, 2, somm.
p. 295 ; Rev. sc. crim. 1978, p. 623, obs. A. Vitu).
En revanche une juridiction
pour mineurs avait pensé que l'on pouvait faire entrer dans la catégorie des
choses offertes la promesse de relations sexuelles qu'un fonctionnaire avait
exigé pour prix de sa corruption (T. enfants
Sarreguemines, 11 mai 1967 : JCP G 1968, II, 15359, note P.A.
Sigalas ; Rev. sc. crim. 1968, p. 329, obs. A. Vitu)
: les mots« offres, promesses » employés par l'ancien article 177
avaient paru assez compréhensifs pour pouvoir s'étendre même à des avantages
immatériels (une recommandation, une intervention favorable...).
93. – Exemples. - La solution
extensive résulte maintenant du libellé de l'article 432-11 qui, à côté des
offres, promesses, dons ou présents, ajoute les « avantages quelconques » comme
moyen générateur de la corruption.
Ainsi a été regardé comme
coupable de corruption passive le maire de la ville de Grenoble, devenu ultérieurement
ministre de l'environnement, qui, pour favoriser l'octroi du service des eaux
de sa commune à la Compagnie Lyonnaise des Eaux, avait bénéficié, indépendamment
d'autres « présents », d'une croisière
en Méditerranée avec sa famille (Cass.
crim.,
22 oct. 1997, aff. Carignon et autres : cité supra n° 90).
Serait pareillement poursuivi
le fonctionnaire qui mettrait, comme condition de l'accomplissement d'un acte
de sa fonction, telle démarche que s'engagerait à effectuer son interlocuteur,
ou le vote que celui-ci accepterait de formuler dans un scrutin prochain,... ou
les relations sexuelles que devrait consentir la personne avec laquelle il
traite.
94. – Remise actuelle ou différée. - Il importe peu que la chose par laquelle la corruption se réalise ou
tente de se réaliser, soit effectivement remise au moment du marché délictueux,
ou doive seulement l'être plus tard. En mentionnant expressément l'agrément de
promesses, le législateur n'a pas voulu excepter de ses prévisions cette rémunération
différée ; l'important est, en effet, l'adhésion intéressée à la proposition du
corrupteur, plus que la réception effective des dons et présents (R. Garraud, op. cit., t. IV, n° 1529, p. 397).
95. – Preuve de l'offre ou de la remise. - La dernière précision à fournir sur ce problème
concerne la preuve qu'il y a bien une offre de la nature de celles qu'on vient
d'indiquer. L'existence du don illicite sera facile à démontrer si l'on
retrouve une trace matérielle de l'objet remis (inscription à un compte
bancaire, objet retrouvé lors d'une perquisition) ou si des témoignages de
personnes tierces affirment la remise matérielle ou sa proposition, la
sollicitation ou l'agrément de la promesse
(Pour un cas très particulier, Cass. crim.,
7 sept. 1935, préc. n° 64 ; le fonctionnaire corrompu
avait refusé le chèque remis, parce qu'il préférait, à ce versement
compromettant, la réception d'une somme d'argent liquide ; ces faits établissaient
suffisamment l'offre et son acceptation de principe par le coupable). En
particulier, l'importance de la somme reçue, qui peut laisser des traces dans
le train de vie du fonctionnaire à l'époque de la corruption, aidera à dévoiler
le délit. Il est, en revanche, difficile de déceler les faits de corruption,
lorsque la somme remise est minime ; bien des corruptions de médiocre envergure
restent ainsi impunies.
2 ) Antériorité de la sollicitation ou de l'agrément par
rapport à l'acte de la fonction
96. – Nécessité d'une antériorité. - L'antériorité de la sollicitation ou de l'agrément d'une rémunération
par rapport à l'acte ou à l'abstention proposée par le corrompu ou acceptée par
lui constitue une règle classique du droit pénal de la corruption (Cass. crim., 8
févr. 1966 : Bull. crim., n° 35 ; JCP G 1966, IV, p. 42
; D. 1966, somm. p. 104. – 23 janv. 1973 : Bull. crim., n° 29 ; JCP G 1973, IV, p. 93; D. 1975, inf. rap. p. 36 ; Rev. sc. crim. 1973, p. 684, obs. A. Vitu. – 14 mai 1986 : Bull. crim., n° 163 ;
Rev. sc. crim. 1987, p. 685, obs.
J.-P. Delmas-Saint-Hilaire. – Adde P. Bouzat : Rev. sc. crim. 1989, p.
123).
Le droit français se sépare
ici de certains droits Étrangers, par exemple italien ou allemand. La loi française réprime seulement les manoeuvres
qui ont pour but le marché de la fonction, mais il laisse impunies les rémunérations
données a posteriori; de telles rémunérations seront peut-être
constitutives d'une faute disciplinaire, mais cette faute est pénalement irréprochable (Cass. crim., 31
juill. 1926 : DH 1926, p. 482. – CA Nancy,
27 juill. 1949 : JCP G1950, IV, p. 30).Le droit allemand, au contraire,
englobe en une répression unique les dons qui rémunèrent l'acte accompli et
ceux qui paient l'acte à venir ; le droit italien, consacrant une autre
distinction, punit moins sévèrement la rémunération donnée a posteriori (Comp. C. pén. italien, art. 318), parce qu'il estime que la
gravité des faits est moindre que dans la corruption antérieure à l'acte.
97. – Affirmation légale de l'antériorité. - L'exigence d'une antériorité de l'offre de corruption
par rapport à l'acte ou à l'abstention sollicitée ou suggérée a été vivement
critiquée par le professeur Delmas-Saint-Hilaire (obs.,
préc.), qui met en relief les conséquences
paradoxales auxquelles conduit la solution classique : le fonctionnaire qui
sollicite une rémunération, mais qui s'abstient finalement d'accomplir l'acte
de la fonction est punissable, alors qu'il échappe à toute pénalité s'il
commence par accomplir cet acte dont il devrait s'abstenir et réclame ou
accepte ensuite une rémunération ; la violation des devoirs de son état
seulement tentée est donc punissable (1re hypothèse), mais le trafic
consommé (2e hypothèse) reste hors d'atteinte. Malgré leur justesse, ces
remarques se heurtaient au libellé même de l'ancien article 177 et se heurtent
actuellement encore au texte de l'actuel article 432-11 : « Est puni (...) le fait (...)
de solliciter ou d'agréer (...) des offres, des promesses (...)
pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir (...) ». La formulation
légale, ancienne ou actuelle, indique bien que doivent se succéder, dans cet
ordre, la sollicitation et l'acte à accomplir, et non l'inverse. Que le système
français soit imparfait, soit, mais c'est au législateur qu'il appartient de
corriger cette imperfection persistante, et non aux tribunaux.
98. – Difficultés pratiques. - La
distinction des rémunérations antérieures et postérieures à l'acte accompli par
le corrompu n'est pas toujours aisée à faire.
Le délit de corruption est évidemment
accompli et pleinement punissable si la rémunération tardive n'est que l'exécution
d'une promesse antérieure : l'exigence de l'antériorité de la sollicitation ou
de l'agrément d'une récompense par rapport à l'acte ou à l'abstention proposée
par le corrompu est satisfaite (V. un
exemple de cette situation en matière de trafic d'influence, Cass. crim., 16
déc. 1997, aff. Monate, Émanuelli et a. connue aussi sous le nom aff. Urba : Bull. crim., n° 428 ; JCP G 1998, n° 1-2, act.
p. 5).
Il est
des situations plus délicates, ainsi qu'on peut le constater lorsque
plusieurs actes successifs accomplis par le fonctionnaire au profit d'un
particulier ont été, chaque fois, suivis de la remise d'un « cadeau » par le bénéficiaire
de ces actes : y a-t-il ou non corruption ? Certainement pas, si l'on prétend
isoler chaque acte et sa rémunération des actes qui l'ont précédé ou qui le
suivent. Mais il ne faut pas se laisser tromper par l'apparence : il est fort
possible que, dans le tissu des relations qui se sont nouées entre le
fonctionnaire et le tiers, les dons qui récompensent les actes passés aient
pour but de faciliter les services futurs ; le contexte douteux des cadeaux reçus
leur imprime aisément un caractère délictueux et le délit de corruption est
alors constitué (Cass. crim., 6 févr. 1968 : Bull. crim.,
n° 37 ; Rev. sc. crim. 1968, p. 850, obs. A. Vitu. – 28 janv. 1987 : Bull. crim., n° 47 ;
Rev. sc. crim. 1987, p. 685, obs.
J.-P. Delmas-Saint-Hilaire. – 29 sept. 1993
: Bull. crim., n° 271 ;
JCP G 1993, IV, 2557. – 27 oct. 1997
: cité supra n° 93. – CA Lyon, 9 juill.
1954 : Rec. dr. pén. 1954, p.
315 ; Rev. sc. crim. 1955, p. 78, obs. L. Hugueney).
Comme l'a fort bien remarqué le
professeur Delmas-Saint-Hilaire, l'incrimination de
la corruption revêt ici, nettement, un aspect préventif, qui a pour but
d'empêcher des actes corrupteurs futurs annoncés par les actes délictueux déjà perpétrés.
B . – Éléments
propres à chaque infraction
1 ° But des manoeuvres constitutives de la corruption
99. – Composantes propres à la corruption. - Les sollicitations tendant, de la part des personnes énumérées
par l'article 432-11, à leur corruption, ou l'agrément qu'elles donnent aux
manoeuvres corruptrices émanées de tiers, ne sont punissables que si elles ont
pour but l'accomplissement ou l'abstention d'actes de la fonction, de la
mission ou du mandat, ou d'actes facilités par cette fonction, cette mission ou
ce mandat. Un lien de causalité doit donc unir les offres, promesses,
dons, présents et avantages sollicités ou reçus, aux actes ou abstentions
attendus du corrompu ou proposés par lui.
a ) Accomplissement ou abstention d'actes de la fonction,
de la mission ou du mandat
100. – Portée large de l'acte punissable. - En une définition compréhensive, que permettent les
termes mêmes de l'article 432-11, l'acte de la fonction, de la mission ou du
mandat est l'acte dont l'accomplissement, ou l'abstention est imposée par les
attributions de l'intéressé. Cette formule a une portée à la fois positive et négative.
101. – Dans sa portée
positive, la définition précédente permet d'englober, non seulement des
actes qu'il appartient au titulaire de la fonction, de la mission ou du mandat
d'accomplir, seul ou en concours avec d'autres, mais encore ceux à la préparation
desquels il participe, sans pouvoir les accomplir lui-même, ou ceux dont les
devoirs de sa charge lui font une obligation de s'abstenir.
La définition donnée possède également une portée négative : elle
aboutit à écarter les actes qui ne figurent pas dans le cadre légal ou réglementaire
des attributions du fonctionnaire ou de la personne assimilée, soit parce
qu'ils sont situés en dehors de ce cadre et entrent dans les attributions d'un
autre fonctionnaire, soit parce qu'il s'agit d'actes absolument impossibles à accomplir,
par nature ou en raison de faits inexistants ou imaginaires sur lesquels ils
portent.
Des exemples, tirés de la pratique jurisprudentielle antérieure au Code
pénal actuel et qui ont gardé leur valeur, vont éclairer ces indications.
102. – Envisageons en premier
lieu les conséquences qu'on peut rattacher à la partie positive de la définition
donnée.
La corruption est d'abord punissable si elle tend à l'accomplissement
ou à l'abstention d'un acte figurant dans les attributions expresses du
titulaire de la fonction ou de l'emploi. C'est là le domaine normal de la
corruption et il suffit, dans chaque cas concret, d'examiner les textes régissant
la fonction ou l'emploi, ou les règles pratiques communément suivies sur ce
point, pour pouvoir aisément déterminer ce qui est acte de la fonction ou de
l'emploi.
La pratique montre d'ailleurs que les cas d'abstention d'un acte de
la fonction sont les plus nombreux et les plus faciles à établir : l'abstention
du fonctionnaire fera présumer une corruption et, si, au cours de l'enquête, on
découvre la remise de dons ou de cadeaux, on pourra affirmer, avec de grandes
chances de certitudes, l'existence du délit
(E. Garçon, op. cit., 2e éd., art. 177, n° 97).
103. – Notion large de l'acte de fonction. - Il convient d'ailleurs de ne pas s'enfermer dans une
conception trop étroite de la notion d'acte entrant dans les attributions du
fonctionnaire, de personnes investies d'une mission de service public ou de l'élu.
Comme autrefois l'article 177 (al. 1er) du Code pénal napoléonien, l'actuel
article 432-11 doit être regardé comme une disposition générale sanctionnant
pénalement toute violation rémunérée des devoirs d'obéissance, de probité, de
discrétion et de fidélité que comporte la fonction ou l'emploi. Les actes
de la fonction, ce ne sont pas seulement ceux qui résultent des dispositions légales
ou réglementaires organisant l'emploi occupé par le prévenu ; ce sont plus
largement tous ceux qu'impose la discipline de la fonction, résulterait-elle,
non de textes, mais uniquement d'une sorte de déontologie informulée, bien que
certaine. Des décisions jurisprudentielles, parmi les plus récentes, ont
expressément adopté ce point de vue (V.
notamment Cass. crim., 6 févr. 1968 : Bull. crim., n° 37
; Rev. sc. crim. 1968, p. 850,
obs. A. Vitu).
104. – Exemples jurisprudentiels. - Par exemple, il y a acte de la fonction ou abstention d'un tel acte
dans le cas :
- d'un inspecteur des contributions directes qui consent, moyennant rémunération,
un abattement considérable sur la base de l'imposition (Cass. crim., 28
mars 1955 : Bull. crim., n° 181);
- d'un fonctionnaire de police qui propose ou qui accepte, ou à qui l'on
demande de s'abstenir de dresser procès-verbal d'un fait délictueux qu'il avait
compétence pour constater (parmi les
décisions récentes, Cass. crim., 13 déc. 1945 : JCP G1946,
IV, p. 17. – 10 juin 1948 : Bull. crim., n° 154 ; JCP
G 1948, II, 4433 ; D. 1949, jurispr. p. 15, note H. Carteret
; S. 1948, 1, p. 117, note M. Rousselet et M. Patin. – 17 nov. 1955 : Bull. crim., n° 494 ; Rev. sc. crim. 1956, p. 323, obs. L. Hugueney.
– T. enfants Sarreguemines, 11 mai 1967 : JCP G1968, II, 15459, note P.A. Sigalas ; Rev. sc. crim. 1968, p. 329, obs.
A. Vitu).
105. – Il en est de même pour
:
- un facteur des PTT, sollicité de remettre au corrupteur lui-même le courrier
adressé à une autre personne (Cass. crim., 28
janv. 1909 : Bull. crim., n° 55 ; S. 1913, 1, p. 474
; Gaz. Pal. 1909, 1, p. 330);
- un chef du service des carburants au génie rural, de qui l'on obtenait
indûment des attributions d'essence (T.
corr. Laval, 9 janv. 1948 : JCP G 1948, II, 4375, note Lhérondel);
- un gardien de prison de qui l'on voulait obtenir la possibilité de voir
un détenu dont le « parloir » avait été supprimé (T. corr. Le Mans, 5 juill. 1946 : JCP G1946,
II, 3362, note M. Schuler);
- un chef de district à l'administration des régions libérées, qui
s'abstenait d'exercer sur des travaux effectués la surveillance dont il était
chargé (Cass. crim., 6 août 1924 : Bull. crim., n° 332);
- le secrétaire général d'une mairie qui recevait des ristournes pour
continuer à passer des commandes pour les besoins en imprimés des services
municipaux (CA Grenoble, 17 nov. 1972 : Gaz. Pal. 1973, 1, somm. p. 155);
- un agent du ravitaillement dont on voulait éviter qu'il ne donne suite à des
délits par lui constatés (Cass. crim., 1er
juill. 1948 : Bull. crim., n° 172 ; JCP G 1948, IV, p.
121 ; Gaz. Pal. 1948, 2, p. 90) ou dont on souhaitait obtenir une
transaction (Cass. crim., 20
janv. 1949 : Bull. crim., n° 21 ; D. 1949, jurispr. p. 119 ; Gaz. Pal. 1949, 1, p. 137);
- un cadi chargé par la loi locale
de contrôler les actes passés par les tuteurs et qui a reçu de l'argent pour
intervenir auprès du procureur de la République et obtenir de lui
l'autorisation de faire vendre des biens immobiliers appartenant à des
mineurs (Cass. crim., 19 nov. 1931 : Bull. crim., n° 266 ; Gaz. Pal. 1932, 1, p. 105);
- un greffier de justice de paix qui a reçu rémunération pour ne pas
remettre à l'administration des finances l'extrait d'un jugement portant
condamnation à une amende (Cass. crim., 15 avr. 1932 : Bull. crim., n° 105 ; S. 1933, 1, p. 320);
- un employé de la SNCF payé pour ne pas recevoir une taxe supplémentaire
due par des voyageurs (T. corr. Villefranche-sur-Saône,
29 nov. 1949 : D. 1950, somm. p. 9);
- un ouvrier boucher fonctionnaire, employé dans un hôpital psychiatrique,
payé par un fournisseur de viande pour ne pas dénoncer aux autorités hospitalières
les malversations commises sur les fournitures faites (Cass. crim., 6
févr. 1968 : Bull. crim., n° 37 ; Rev.
sc. crim. 1968, p. 850, obs. A. Vitu);
- un fonctionnaire des Ponts et Chaussées, qui délivre à des camionneurs et
contre argent, des attestations provisoires de complaisance leur permettant de
circuler avant d'avoir obtenu les autorisations ministérielles qu'ils avaient
demandées (Cass. crim.,
8 févr. 1966 : Bull. crim., n° 35 ; JCP G 1966, IV, p.
42 ; D. 1966, somm. p. 104);
- un chef de division à l'URSSAF qui remet la liste des personnes en
difficulté avec cet organisme, au directeur d'un cabinet contentieux spécialisé,
pour qui ces personnes pouvaient devenir d'éventuels clients (Cass. crim., 21
janv. 1959 : Bull. crim., n° 59).
106. – Participation à des actes collectifs. - Pour les personnes investies d'un mandat électif
public, leur fonction est d'émettre des opinions en assemblée, de délibérer
et de voter ; elle est aussi de préparer par des rapports les délibérations
de ces assemblées ; l'acte du mandat, au sens de l'article 432-11, est donc
celui qui est relatif à ces activités et il doit donc être distingué des démarches
et des interventions facilitées par l'influence dont les élus bénéficient auprès
des pouvoirs publics. Le trafic des actes du mandat constitue seul la corruption,
alors que le trafic portant sur les démarches ou les interventions relève du
trafic d'influence. La distinction est admise à la fois par la doctrine (R. Garraud, op.
cit., t. IV, n° 1527, p. 388. – E. Garçon, op. cit., 2e
éd., art. 177, n° 107 s.) et par la jurisprudence. Ainsi l'article 177 de
l'ancien Code pénal avait été appliqué à un député qui, dans l'affaire du
scandale de Panama, avait accepté une rémunération en vue de faire convertir en
loi un projet dont la Chambre des députés
avait été saisie (Cass. crim., 24
févr. 1893 : S. 1893, 1, p. 217, note E. Villey et concl. Baudouin), à un député payé pour déposer un
rapport favorable à l'émission de valeurs à lots (Cass. crim., 28 oct. 1897 : Bull. crim., n° 332 ; Journ. Parquets 1898, 2, p. 125), ou à un
conseiller général qui, par ses votes, devait faciliter à une société l'obtention
de travaux publics dont le programme était soumis au conseil général (Cass. crim., 3 nov. 1933 : Bull. crim., n° 200 ; DH 1933, p. 573 ; Gaz. Pal. 1933, 2, p. 972).
107. – Il importe peu que le
fonctionnaire ou l'élu n'ait pas le pouvoir d'accomplir seul l'acte dont il
accepte de trafiquer, mais qu'il ait disposé, contre rémunération, de sa part
dans un pouvoir collectif : on vient d'en voir des exemples pour les personnes
investies d'un mandat électif public.
108. – Il est sans importance
également que le fonctionnaire n'ait pas le pouvoir d'accomplir lui-même l'acte
dont il trafique, s'il entre cependant dans ses attributions d'en préparer
l'accomplissement par des actes préalables, des rapports, ou la mise au point
de dossiers, etc. Cette solution s'impose par la considération qu'un acte
administratif est parfois complexe et que, s'il est décidé par un seul, sa
solution dépend souvent de « préliminaires » exécutés par d'autres, sur
lesquels la corruption peut s'exercer. La corruption est donc punissable :
- chez le maire d'une commune algérienne de plein exercice, qui a reçu de
l'argent pour faire nommer des indigènes aux fonctions de caïds ou de muezzins,
dès lors que les nominations, faites par le préfet ou le gouverneur,
supposaient que le maire fût obligatoirement consulté auparavant (Cass. crim., 19
avr. 1894 : Bull. crim., n°
104 ; DP 1898, 1, p. 494),
- chez un chef de service au ravitaillement général qui, pour obtenir une
ristourne sur les bénéfices, menaçait le gérant d'une centrale laitière de lui
faire retirer sa gérance, du moment que, pour ses avis administratifs, il pouvait avoir sur la situation
du gérant une influence décisive (Cass.
crim., 14 janv. 1949 : Bull. crim.,
n° 9 ; JCP G 1949, II, 4866, note A. Colombini ; D. 1979,
jurispr. p. 96),
- chez un agent contractuel du MRU, qui recevait des sinistrés de nombreux
dons pour obtenir, par ses avis, un règlement
rapide de leurs dommages de guerre, ou du moins de substantielles
avances (Cass. crim.,
19 juill. 1951 : Bull. crim., n° 220). Peu
importe la part active ou négative que le fonctionnaire pouvait prendre dans la
décision définitive, puisque, ainsi que le dit la Cour de cassation, « la loi
punit le marché du service, au moment où il se consomme et sans tenir
aucun compte de son exécution » (Cass.
crim.,
14 janv. 1949, préc.).
109. – Obligation d'abstention. - L'article 432-11 est d'autre part applicable aux manoeuvres
corruptrices mises en jeu par le fonctionnaire ou agréées par lui, et tendant à
l'accomplissement d'un acte dont les devoirs de sa fonction font au titulaire
une obligation de s'abstenir. Il faut en effet regarder l'article 432-11 comme
le texte général qui sanctionne pénalement toute violation rémunérée des
devoirs de probité, de discrétion et de fidélité que comporte la fonction, la
mission ou le mandat.
C'est en application de cette idée qu'on a pu poursuivre des gardiens
de prison à qui on demandait, contre une somme d'argent, de transmettre au
dehors la correspondance de détenus et de faire parvenir à ces derniers du
tabac (Cass. crim., 23 févr. 1882 : Bull.
crim., n° 52 ; S. 1884, 1, p. 351). Cette considération
explique également la jurisprudence appliquant les peines de la corruption aux
fonctionnaires qui, par dons ou promesses, ont violé le secret professionnel à propos
de faits dont ils ont eu connaissance dans l'accomplissement de leur
fonction (Cass. crim., 5 janv. 1933 : Gaz. Pal.
1933, 1, p. 411, pour le directeur de la police judiciaire qui, dans l'affaire Oustric, avise le banquier dont il avait reçu de l'argent
qu'une plainte a été déposée contre lui et qu'une enquête est ouverte). On
poursuivra pareillement le fonctionnaire qui communiquerait à un tiers un
dossier ou des pièces dont il a le dépôt ou l'utilisation, et qui doivent
demeurer confidentiels (ainsi du greffier d'un juge d'instruction qui montrerait, contre argent, le dossier
d'une affaire en cours à des journalistes).
110. – Acte facilité par la fonction. - On remarquera toutefois qu'il n'y a plus « acte de la
fonction », mais « acte facilité par la fonction » lorsqu'un fonctionnaire ou
un élu communique à des tiers, contre rémunération, des renseignements dont il
a eu connaissance par hasard et indirectement, grâce aux facilités que lui
donnent sa fonction ou son mandat (V.
infra n° 119). Il en irait ainsi
quand un fonctionnaire subalterne profite de sa situation pour consulter des
dossiers auxquels il n'a point normalement accès et monnayerait ainsi les
indications qu'il aurait surprises.
111. – Acte juste ou injuste. - Il
est sans intérêt que l'acte dont il est trafiqué soit juste ou injuste : l'ancien
article 177 (al. 1er-1°) le disait expressément et la solution garde sa
valeur malgré le mutisme, sur ce point, de l'article 432-11. Un fonctionnaire
ne doit donc ni solliciter rémunération pour faire un acte que sa fonction lui
impose ou s'abstenir alors qu'il devrait agir (l'acte qu'il fait ou devrait
faire est alors juste), ni proposer moyennant finance l'accomplissement
d'un acte dans des conditions irrégulières ou l'abstention d'un acte qu'il
devrait éviter d'accomplir (alors l'acte que le fonctionnaire accomplit ou
pourrait accomplir est injuste).
112. – Fait imaginaire. - Il
importe peu également que l'acte de la fonction ou facilité par la fonction,
dont il est trafiqué, porte sur un fait imaginaire et se révèle, par là même,
inutile ou sans objet. Par exemple le délit de corruption pourrait être imputé
à un particulier qui a obtenu d'un fonctionnaire des impôts qu'il ne soit pas
donné suite répressive à une opération présumée délictueuse, alors qu'il s'avère
ultérieurement que cette opération est parfaitement régulière au regard du
droit fiscal : le délit de corruption est, en ce cas, pleinement constitué puisque
le prévenu a usé des moyens réprimés par la loi, en vue d'un trafic de la
fonction (Comp.
la même solution en matière de trafic d'influence, Cass. crim.,
20 mars 1997 : Bull. crim., n° 117).
113. – Il faut en second lieu
indiquer les conséquences que comporte la partie négative de la définition
donnée. Les poursuites du chef de corruption passive sont en effet vouées à l'échec
si l'une des personnes énumérées en l'article 432-11 (autrefois art. 177) s'est fait payer
pour effectuer un acte ou s'abstenir d'un acte qui, de par sa nature échapperait
totalement aux attributions de cette personne ou qui concernerait des faits
imaginaires. Les solutions sont imposées par le texte étudié ( « acte de sa
fonction, de sa mission ») et étaient admises par la doctrine élaborée sous
l'empire de l'article 177 (R. Garraud, op. cit., t. IV, n° 1526. – E. Garçon, op. cit., 2e
éd., art. 177, n° 114 s. – R. Vouin et Mme Rassat, Droit pénal spécial : Dalloz, 6e éd., n° 487-1°. – A.
Vitu, Droit pénal spécial, t. I, n° 371. – Adde les auteurs cités par E. Garçon, op. cit., 1re éd.,
art. 177, n° 62),mais elles n'avaient pas été sans soulever, au début du XIXe siècle, d'assez graves difficultés.
114. – Hésitations de la jurisprudence. - En un premier temps, la chambre criminelle avait
d'abord admis que l'article 177 devait s'appliquer non seulement quand l'acte,
dont le fonctionnaire s'était abstenu, entrait dans le cercle de ses
attributions, mais aussi dans le cas où il croyait, simulait ou prétendait
faussement qu'il était de son devoir de faire l'acte dont il s'était
abstenu (Cass. crim.,
1er oct. 1813 : Bull. crim., n° 212, pour un garde
champêtre qui avait menacé d'arrêter un individu au prétexte que son passeport
n'était pas en règle et s'était abstenu de le faire contre argent. – Adde Cass. crim., 16 sept. 1820 :
Bull. crim., n° 124 et 19 août 1826 : Bull. crim., n° 162).
115. – Position actuelle de la jurisprudence. - Mais les chambres réunies de la Cour de cassation, sur
les réquisitions du procureur général Mourre, abandonnèrent ce point de vue,
difficilement soutenable en l'état des textes
(Cass. ch. réun., 31 mars 1827 : Bull. crim., n° 71). Depuis cette date, le problème n'a plus été
discuté et les décisions rendues par la chambre criminelle pendant les
cinquante dernières années sont conformes à la ligne tracée par l'arrêt de 1827 (V. Cass. crim.,
23 févr. 1913 : Bull. crim., n° 100, pour un juge de
paix menaçant un héritier ab intestat, de déposer entre les mains du président
du tribunal civil un testament qu'il prétendait avoir reçu par voie postale et
instituant un légataire universel ; le testament, disait-il, était
vraisemblablement un faux, mais il lui en coûterait peut-être sa situation de
ne pas le produire. – Cons. révision Paris, 18 juin 1919 : DP 1919, 2, p. 20,
pour un militaire qui fabriquait de prétendues lettres anonymes dans lesquelles
il dénonçait un de ses camarades « embusqué
» et se faisait payer par ce camarade pour ne pas transmettre au gouvernement
militaire de Paris, où il était employé, les lettres reçues. – CA Paris, 17 mars et 6 juin 1922 : S. 1922, 2, p.
125 ; DP 1922, 2, p. 145, note G. Leloir et, sur pourvoi, Cass. crim., 6 janv. 1923 : Gaz. Pal. 1923, 1, p. 203 ; DP 1923, 1,
p. 238, pour un garde du bois de Boulogne qui exigeait de l'argent pour ne pas
dresser procès-verbal d'un outrage public à la pudeur qui n'existait que dans
son imagination). Dans toutes ces hypothèses, où il s'agissait de faits
absolument imaginaires, l'acte dont le fonctionnaire incriminé avait trafiqué ne
pouvait évidemment pas entrer dans ses attributions.
116. – Application de qualifications différentes. - Des faits de ce genre n'échappent cependant pas à la répression,
mais sous d'autres qualifications que celle de corruption. Indépendamment des
textes concernant le faux qu'on pouvait retenir dans la première espèce, ou la
dénonciation calomnieuse qu'on aurait pu utiliser dans la seconde si le
coupable avait fait parvenir à destination les lettres anonymes fabriquées par
lui, des poursuites pour escroquerie ou pour chantage sont possibles, si les éléments
constitutifs de ces infractions sont réunis. C'est ce qui a été jugé, pour
l'escroquerie dans l'espèce de l'arrêt de 1827 (un garde particulier avait
surpris un chasseur en délit, mais sur un territoire situé en dehors de
l'arrondissement pour lequel il était commissionné, et il avait exigé de
l'argent pour ne pas verbaliser), et dans les espèces de 1913 et 1919 précitées,
– et pour le chantage dans l'arrêt du 6 janvier 1923 précité. Il est vrai que,
dans ces divers cas, les deux qualifications sont fort proches l'une et l'autre
et pourraient presque, en pratique, être employées l'une pour l'autre.
b ) Accomplissement ou abstention d'actes facilités par
la fonction, la mission ou le mandat
117. – Impunité ancienne. - Le
trafic d'actes facilités par la fonction était impunissable
jusqu'en 1943. La jurisprudence, il est vrai, avait parfois élargi la notion
d'acte de la fonction, en y englobant des actes qui ne figuraient pas dans les
attributions propres du titulaire de la fonction. Dans l'affaire Bonny, par exemple, la chambre criminelle avait vu des
actes de l'emploi dans les agissements d'un inspecteur de police qui, contre de
l'argent, avait, sous le chiffre de son supérieur direct, établi une note
tendant à obtenir pour un étranger un sursis à l'exécution d'un arrêté d'expulsion, puis lui avait fait établir une
carte d'identité (Cass. crim., 7
sept. 1935 : Gaz. Pal. 1935, 2, p. 609) : il est pourtant évident qu'en
s'arrogeant les fonctions de son supérieur, le coupable n'avait pas accompli un
acte de son emploi ; il n'entre pas non plus dans les attributions des
inspecteurs de police de délivrer des cartes d'identité. Ailleurs, elle
appelait trafic d'influence ce que l'on qualifierait maintenant de corruption
portant sur un acte facilité par la fonction : ainsi pour le cas d'un planton
au ministère du Travail qui, ayant pénétré dans le bureau d'un chef de service
absent, avait apposé sur les certificats d'embauchage de deux ouvriers italiens
le cachet et le visa réglementaires (Cass.
crim.,
4 mai 1935 : Gaz. Pal. 1935, 2, p. 38 ; S. 1936, 1, p. 356 ; Sem. jur. 1935, p.
909).
118. – Apparition de la répression. - De pareils subterfuges étaient devenus inutiles
lorsque l'article 177 (al. 3) de l'ancien Code pénal, modifié par la loi du 16 mars 1943, vint incriminer spécialement
le trafic des facilités que donne la fonction ou l'emploi.
Il était cependant nécessaire de continuer à bien distinguer l'acte
facilité par la fonction et, d'autre part, l'acte de la fonction, car les
peines portées étaient moins fortes quand la corruption tendait à l'accomplissement
d'un acte du premier type. Cet intérêt pratique de la distinction a maintenant
disparu, puisque les mêmes pénalités frappent le trafic portant sur les actes
de l'une et de l'autre catégorie. Il reste cependant utile de savoir ce qu'est
un acte facilité par la fonction, la mission ou le mandat, non pas pour le séparer
mieux de l'acte de la fonction, de la mission ou du mandat, mais pour bien
indiquer jusqu'où peut s'étendre l'incrimination de corruption passive, et où commence
la zone d'impunité.
119. – Définition. - Il est
aisé de définir l'acte facilité par la fonction, la mission ou le mandat au
sens de l'article 432-11 : il s'agit de tout acte qui, bien que ne
ressortissant pas aux prérogatives expressément concédées à l'intéressé par la
loi ou les règlements, a cependant été rendu
possible par elles en raison du lien étroit unissant les attributions et l'acte.
On remarquera que, à l'imitation de l'ancien article 177, l'article 432-11
mentionne à la fois l'accomplissement et l'abstention d'un acte facilité par la
fonction, la mission ou le mandat ; en fait, l'abstention d'un acte facilité par
les fonctions confine à l'escroquerie (E.
Garçon, op. cit., 2e éd., art. 177, n° 199 s.),mais l'incrimination de
corruption a, sur celle d'escroquerie, l'avantage de ne pas exiger la démonstration
de manoeuvres frauduleuses caractérisées ou la prise d'une fausse qualité.
120. – Exemples jurisprudentiels. - Quelques exemples jurisprudentiels illustreront la notion d'acte
facilité par la fonction. Ainsi en va-t-il :
- du fonctionnaire qui reçoit de l'argent pour faire retarder une expertise
envisagée par l'Administration contre la personne corruptrice (Cass. crim., 22
juill. 1954 : Bull. crim., n° 266 ; JCP G 1954, IV, p.
133);
- de l'administrateur civil à l'Agence judiciaire du Trésor, poursuivi pour
avoir communiqué les noms des fonctionnaires victimes d'accidents au directeur
d'un « bureau de défense », lequel prenait alors contact avec les intéressés
pour leur proposer de les représenter en justice (Cass. crim., 6
févr. 1969 : Bull. crim., n° 67 ; JCP G 1969, II, 16004,
note P. Chambon ; Rev. sc. crim.
1969, p. 871, obs. A. Vitu);
- du planton d'un ministère qui, sur des documents appose un cachet
officiel qu'il a pris dans le bureau d'un fonctionnaire absent (Cass. crim., 4
mai 1935, préc.);
- d'un fonctionnaire de préfecture affecté au service du logement, et qui a reçu
de l'argent en vue de faciliter la délivrance d'un titre de séjour à un
ressortissant étranger (Cass. crim., 3 juin 1997 : Dr. pén. 1997,
comm. n° 150, obs. M. Véron).
On verra une abstention rendue possible par l'emploi dans le cas du
fonctionnaire qui se ferait remettre des fonds pour s'abstenir de signaler à ses
supérieurs hiérarchiques ou à la justice des faits infractionnels qu'il est
cependant incompétent pour constater officiellement.
121. – Il semble même, comme
l'avait proposé E. Garçon (op. cit., 2e
éd., art. 177, n° 201), que l'on pourrait appliquer l'article 432-11 (autrefois art. 177, al. 3) dans
l'hypothèse, non prévue par cette disposition
(autrefois par l'article 178), où l'acte dont l'abstention est
proposée est un trafic d'influence. Ainsi le parlementaire qui
consentirait à ne pas appuyer un concurrent dans un marché de travaux publics,
ne pourrait être regardé ni comme coupable de corruption passive au sens étroit
du terme (il n'y a pas abstention d'un acte du mandat), ni comme
coupable de trafic d'influence (il
s'est engagé à ne pas trafiquer de son influence supposée, fait que l'article 432-11,
comme autrefois l'article 178, laisse en dehors de ses prévisions), mais il
s'est abstenu d'un acte facilité par sa fonction élective.
2 ° But des manoeuvres constitutives du trafic
d'influence
122. – Composantes propres du trafic d'influence. - En matière de trafic d'influence, le but des
manoeuvres consiste essentiellement en ce que la personne coupable abuse de son
influence, réelle ou supposée, en vue d'obtenir au profit de l'interlocuteur
certaines faveurs, et cela auprès d'autorités sur lesquelles
doit s'exercer l'influence dont il est trafiqué. De là trois
composantes, par lesquelles s'analyse le but des manoeuvres délictueuses : l'influence
dont le coupable abuse, les faveurs dont le législateur interdit le
trafic, enfin les autorités sur lesquelles est censée agir l'influence.
a ) Notion d'influence
123. – En employant
l'expression « abuser de son influence réelle ou supposée »,déjà utilisée
par le texte antérieur, l'article 432-11 évoque les procès qui jalonnèrent les
années précédant la promulgation de la loi
du 4 juillet 1889, procès dans lesquels le crédit imaginaire ou réel
des prévenus avait joué un rôle essentiel pour la condamnation ou la relaxe
du chef d'escroquerie, qualification retenue à l'époque contre les prévenus.
La composante ainsi visée est
d'une grande importance, car c'est elle qui traduit la différence séparant
l'infraction de trafic d'influence de celle de corruption passive. Que faut-il
entendre par influence ? Le parallèle qu'on peut établir avec la corruption
permet de bien cerner les contours de la notion.
124. – Dans le délit de
corruption, le fonctionnaire ou l'élu corrompu monnaye l'accomplissement d'un
acte de sa fonction, ou d'un acte facilité par elle. En ce qui concerne au
contraire le trafic d'influence, la personne coupable ne se place pas dans le
cadre de sa fonction, mais en dehors : elle use ou, mieux, elle abuse du crédit
qu'elle possède (ou qu'on croit qu'elle possède) du fait de sa
position dans la société ou dans l'Administration, du fait aussi des relations
d'amitié qu'elle a pu nouer avec d'autres personnes, ou des liens de
collaboration qui se sont tissés entre elle et les fonctionnaires d'autres
services publics. Comme l'avait fait fort justement remarquer R. Garraud (op. cit., t. IV, n° 1526
et 1527), le coupable trafique, non de sa fonction, mais de sa qualité.
En conséquence, dès lors
qu'un fonctionnaire se fait payer pour accomplir un acte de sa fonction ou acte
facilité par elle, on se trouve en présence d'une corruption, et non d'un délit
de trafic d'influence. La Cour de cassation a rappelé avec force cette
distinction dans divers arrêts récents.
125. – Exemples. - Ainsi,
lorsque le président d'une société de travaux publics effectue des travaux de rénovation
au domicile d'un ingénieur de l'administration de l'Équipement, et lui fournit
gratuitement du fuel pour son usage personnel, en vue de se concilier la
bienveillance de ce fonctionnaire et obtenir de lui tous renseignements utiles
pour connaître à l'avance les futurs marchés de travaux publics envisagés dans
la circonscription, il s'agit bien d'un trafic de la fonction : le
fonctionnaire monnaye ses prérogatives personnelles et l'infraction de
corruption est bel et bien constituée (Cass.
crim., 1er oct. 1984 : Bull. crim.,
n° 277).En revanche, est un trafic d'influence le fait, par le directeur régional
du service de la Garantie Or, de solliciter d'un bijoutier une somme d'argent
pour intervenir en sa faveur afin que deux procès-verbaux, établis à l'encontre
de ce dernier et que ce directeur n'avait pas le pouvoir de classer, n'aient
aucune suite pénale (Cass. crim., 6 juin 1989 : Dr. pén. 1990,
comm. n° 44).
Cass. crim., 1er oct. 1984, préc. :
Attendu
que... les juges ont retenu à tort la prévention de trafic d'influence prévue
et punie par l'article 178 du Code pénal, ce texte exigeant que le bénéficiaire
des dons ou présents soit considéré ou se présente comme un intermédiaire dont
l'influence, réelle ou supposée, est de nature à faire obtenir une faveur
quelconque ou une décision favorable d'une autorité publique ou d'une
administration;
Attendu
en revanche que les faits ainsi décrits constituent le délit de corruption
passive défini et réprimé par l'article 177 du Code pénal, applicable au
fonctionnaire public qui a reçu des dons ou présents pour faire personnellement
un acte de ses fonctions, juste ou non mais non sujet à salaire, comme en l'espèce,
pour obtenir la bienveillance du prévenu dans ses missions de surveillance ou
des renseignements de sa part sur les futurs marchés de travaux publics envisagés
dans sa circonscription.
126. – Influence réelle ou supposée. - L'influence dont se prévaut l'intermédiaire, ou
l'influence qu'on lui prête peut être, dit l'article 432-11, « réelle ou supposée ». Cette formule,
reprise de l'article 178 de l'ancien code, souligne la parenté que les rédacteurs
de la loi du 4 juillet 1889 avaient établie,
peut-être involontairement, entre l'escroquerie et le trafic d'influence ; elle
explique les hésitations qu'ont parfois les tribunaux pour qualifier exactement
certains faits d'escroquerie ou de trafic d'influence (V. par exemple une difficulté de
qualification de cet ordre dans CA
Paris, 12 mai 1914 : Gaz. trib., 14 mai 1914 ; Gaz. Pal. tables 1912-1920
V° Corruption de fonctionnaires, n° 4 bis et 5. – Comp.
Cass. crim., 24 juin 1899 : Bull. crim.,
n° 177. – 13 févr. 1909 : Bull. crim., n° 103).
b ) Faveurs dont le trafic est interdit
127. – Comme ceux
qu'employait l'article 178, les termes dont se sert l'article 432-11 sont
suffisamment larges pour désigner toutes les faveurs dont le coupable a
indûment trafiqué ; ils ont l'avantage de la sobriété, ce qui est l'une des
qualités d'une bonne technique législative.
En souvenir des scandales contre lesquels la loi de 1889 avait entendu réagir, avaient été placées
en première ligne les « décorations, médailles,
distinctions et récompenses », termes qui visaient même les décorations étrangères
dont le port en France est subordonné à une autorisation gouvernementale (Cass. crim., 24
juill. 1912 : Gaz. Pal. 1912, 2, p. 413).Plus simplement, le texte actuel
se contente de mentionner les distinctions, mais ce vocable est assez
large pour couvrir le même domaine que l'énumération ancienne.
128. – Notion d'emploi. - L'expression
« emplois », qui a succédé dans l'article 432-11 à la trilogie des « places,
fonctions et emplois » qu'on lisait dans l'ancien article 178, désigne tous
les postes, situés à un niveau quelconque de la hiérarchie administrative ou même
en dehors de celle-ci, et dont les titulaires sont nommés ou investis par
l'autorité. Le trafic d'influence a, par exemple, pu être retenu contre un
individu qui, dans son désir d'être nommé juge de paix, avait versé 2 500 F à une
personne qui alléguait son influence à la Chancellerie (Cass. crim., 7 août 1908 : Bull. crim., n° 348 ; S. 1909, 1, p. 486 ; Gaz. Pal. 1908, 2, p. 383).
On le retiendra aussi sans hésitation contre celui qui, déjà titulaire
d'une place ou d'une fonction, veut accélérer son avancement par des aides extérieures (CA
Paris, 11 janv. 1912 : Gaz. Pal. 1912, 1, p. 55 et, sur pourvoi, Cass. crim., 16
févr. 1912 : Bull. crim., n° 93 ; DP 1913, 1, p. 49, note G. Leloir ; S. 1914, 1, p.
230 ; RD pén. crim. 1912, p.
209, note anonyme).
129. – Notion de marché. - Alors
que l'actuel article 432-11 vise seulement les « marchés » parmi les faveurs
que le trafic d'influence permet d'octroyer, l'ancien article 178 usait d'une
formulation beaucoup plus détaillée qui englobait les« marchés, entreprises
et autres bénéfices résultant de traités conclus avec l'autorité publique ou
avec une administration placée sous le contrôle de la puissance publique ». Mais
le terme unique employé actuellement ne réduit en rien la portée de
l'incrimination.
On peut citer, comme exemples typiques d'un trafic d'influence de cette
nature, l'intervention rémunérée d'un homme politique en vue d'obtenir à son « protégé
» le monopole de marchés de travaux exécutés pour le compte d'une
administration (V. le cas d'un
conseiller général qui avait monnayé à la fois un vote au conseil général et
son intervention auprès des pouvoirs publics, pour faciliter à un entrepreneur
l'obtention de travaux publics, dont le programme était soumis à cette assemblée
départementale, Cass. crim., 3 nov. 1933 : Bull. crim.,
n° 200 ; DH 1933, p. 573 ; Gaz. Pal. 1933, 2, p. 972), ou la réception, des
mains de chefs d'entreprises ayant obtenu des marchés publics, de fonds destinés
à rémunérer les interventions des prévenus auprès d'élus chargés d'attribuer
ces marchés (Cass. crim., 16 déc. 1997, aff. Monate, Emmanuelli et a. : Bull. crim.,
n° 428 ; JCP G 1998, n° 1-2, act. p. 5).
130. – Notion de décision favorable. - C'est sous le couvert de l'expression « toute autre décision
favorable » calquée sur les termes « faveurs quelconques »et « décisions
favorables »dont se servait l'ancien article 178, qu'on peut ranger le plus
grand nombre des arrêts rendus en matière de trafic d'influence. Selon une
formule que l'on trouve fréquemment dans la jurisprudence, la décision
favorable de l'autorité publique est « celle qui, au lieu d'être obtenue par
des moyens légitimes, a été obtenue ou poursuivie par des moyens d'influence
coupable ».
Peu importe donc que la décision sollicitée soit parfaitement régulière
et légitime ; l'essentiel, pour la commission du délit, ce sont les moyens irréguliers
par lesquels cette décision a été obtenue.
Peu importe également que cette décision porte sur une situation ou un
fait imaginaire et, par conséquent, se révèle inutile ou sans objet. Est donc
punissable le trafic d'influence par lequel un particulier, croyant avoir
commis une infraction à la réglementation des changes, s'était abouché avec un
individu qui, moyennant le versement d'une forte somme, se faisait fort d'étouffer
l'affaire, alors que l'opération présumée délictueuse était en réalité parfaitement
régulière (Cass. crim., 20 mars 1997 : Bull. crim., n° 117).
131. – Exemples. - La décision
favorable qu'on a fait miroiter aux yeux du tiers ou que celui-ci a demandée
peut être :
- d'ordre judiciaire (Cass. crim., 24
juin 1899 : Bull. crim., n° 177, réussite d'un
pourvoi en cassation. – 10 mai 1935 : Bull. crim., n°
56 ; S. 1936, 1, p. 396, intervention pour la levée d'un mandat d'arrêt. – 20
janv. 1949 : Bull. crim., n° 21 ; D. 1949, jurispr. p. 119 ; Gaz. Pal. 1949, 1, p. 137 ; JCP G 1949,
IV, p. 37, pour l'obtention d'une transaction de la part du contrôle économique.
– T. corr. Seine, 1er juill. 1958 : Gaz. Pal. 1958, 2, p. 235 ; D. 1958, somm. p. 154, pour le classement sans suite d'une enquête
de police);
- d'ordre administratif (Cass. crim., 30
janv. 1909 : Bull. crim., n° 69 ; DP 1910, 1, p. 505,
note G. Le Poittevin ; S. 1911, 1, p. 597, refus de
l'autorisation à une commune d'accepter une libéralité testamentaire. – 26 nov.
1927 : Bull. crim., n° 274 ; S. 1929, 1, p. 236 ; DH 1928, p. 6 ; Gaz. Pal. 1928,
1, p. 127, pour l'obtention d'un passeport ou d'une naturalisation. – T. corr. Haïphong, 4 juill. 1902 : Gaz. trib. 1902, 2, p. 390, et CA Paris, 18 janv. 1910, sur Cass. crim., 22
juill. 1910 : DP 1913, 1, p. 49, note G. Leloir, pour l'obtention d'une
autorisation d'exploiter des jeux. – CA
Paris, 18 mai 1923 : Gaz. Pal. 1923, 2, p. 156, intervention pour le retrait
d'un arrêté d'expulsion. – Cass. crim., 5 juin 1978, Flochet, pour
l'octroi d'une substantielle indemnité au propriétaire d'un bien en cours
d'expropriation. – Cass. crim., 20 mars 1997 : Bull. crim., n° 117, pour l'abandon de poursuites en raison d'une
infraction à la réglementation des changes),
- ou enfin d'ordre militaire (Cass. crim., 9
mai 1895 : Bull. crim., n° 136 ; S. 1895, 1, 379 ; DP
1901, 1, 213, démarche tendant à l'exemption du service militaire).
132. – Les cas qu'on vient de
citer sont tous relatifs à des exemples de faveurs individuelles accordées par
l'autorité publique. Mais on devrait considérer également comme une faveur
toute mesure réglementaire, apparemment profitable à la communauté, mais en réalité
tournée vers le bien de quelques personnes ou de quelques groupements et
acquise par l'intervention monnayée de personnes influentes (En ce sens, J. Chevallier, De la notion de trafic d'influence [Étude de
droit français et de droit italien comparés] : RID pén.
1935, p. 61 s.).
133. – Le trafic d'influence
retenu contre un planton au ministère du travail qui, après avoir reçu de
l'argent, avait pénétré dans le bureau d'un chef de service absent et avait
apposé des visas et cachets réglementaires sur ces certificats d'embauchage
d'ouvriers Étrangers (Cass. crim., 4
mai 1935 : S. 1936, 1, p. 356 ; Gaz. Pal. 1935, 2, p. 38 ; Sem. jur. 1935, p. 909), serait plus exactement qualifié, en
l'état des textes actuels, corruption dans les actes facilités par la fonction.
Si le trafic d'influence avait été retenu, à l'époque, c'est parce que
l'article 178 réprime le trafic de l'influence « réelle ou supposé ».
c ) Autorités sur lesquelles l'influence s'exerce
134. – Autorités françaises. - L'influence
que le coupable possède ou prétend posséder doit s'exercer sur « une autorité
ou une administration publique ». L'expression « autorité publique » paraît
désigner plutôt une personne physique, tandis qu'un aspect plus collectif
semble s'attacher à l'expression « administration publique ». Il importe peu : l'intéressant
est surtout de remarquer qu'il s'agit, dans l'article 432-11, des autorités et
administrations françaises, qu'elles appartiennent à l'ordre législatif, administratif
ou judiciaire (V. déc. citées supra n° 131).
135. – Problèmes des autorités étrangères. - Les autorités et administrations étrangères sont-elles
visées par l'article 432-11 ? Lorsque la question s'était posée sous l'empire
de l'ancien article 178, la Cour d'appel de Paris avait répondu négativement
dans une affaire dont le protagoniste, de nationalité française et ancien chef
de police à Haïti, promettait à de riches hongrois de leur faciliter
l'acquisition de la nationalité haïtienne
(CA Paris, 15 févr. 1941 : DA 1941,
p. 217 ; Gaz. Pal. 1941, 1, p. 412 ; Rev. sc. crim. 1941, p. 192, obs. L. Hugueney); sa décision était fondée sur les motifs
suivants :
CAParis, 15 févr. 1941, préc.
Attendu
que l'article 177, alinéa 5 [texte qui à l'époque réprimait le trafic
d'influence] a pour but de protéger l'indépendance et le prestige des décisions
prises en France par l'autorité publique pour accorder aux personnes les plus méritantes
des dispositions honorifiques, places ou emplois, et d'une façon générale, les
faveurs de toute nature accordées à ceux qui en sont jugés dignes par l'autorité
française ; qu'en employant ces mots « l'autorité publique » et non « une
autorité publique », le législateur a voulu viser l'autorité publique française,
seule compétente sur le territoire de la République, et non l'autorité étrangère,
dont les distinctions honorifiques et les faveurs sont accordées en dehors de
notre territoire, dans des conditions échappant à tout contrôle des autorités françaises.
136. – Il n'est pas douteux,
en effet, que les promoteurs de la loi
de 1889 avaient voulu protéger l'Administration française contre le
discrédit qui pouvait l'atteindre (En
ce sens L. Hugueney : Rev. sc.
crim. 1946, p. 67 et 1947, p. 87. – E. Garçon, op. cit.,
art. 177-178, n° 229). La question se pose cependant de savoir s'il ne
conviendrait pas quelque jour prochain, d'élargir la portée de l'article 432-11
sur le plan législatif et de placer, aux côtés de l'autorité française, les
autorités internationales dont certains représentants sont amenés, à titre
temporaire ou permanent, à exercer des fonctions en France, et aux autorités
communautaires (V. supra n° 38 ce qui a été dit à propos de la corruption
passive).
II . – RÉPRESSION
DE LA CORRUPTION PASSIVE ET DU TRAFIC D'INFLUENCE
A . – Pénalités
1 ° Complication du système ancien
137. – Correctionnalisation légale de la corruption. - La loi du 16
mars 1943 avait enlevé à la corruption de fonctionnaires et personnes assimilées
le caractère de crime qu'elle possédait jusqu'à cette date. La
correctionnalisation ainsi réalisée avait cependant sensiblement aggravé, en
fait, la sévérité antérieure, puisqu'à la peine de la dégradation civique, aux
effets médiocrement intimidants, elle substituait un emprisonnement
correctionnel de deux à dix ans ou de un à trois ans, selon que la corruption
portait sur un acte de la fonction ou sur un acte facilité par la fonction.
Malgré cette sévérité de
fait, la loi de 1943 s'était appliquée
aux poursuites en cours au jour de sa promulgation (Cass. crim., 20 déc. 1945 : Bull. crim., n° 151. – 27 juin 1946 : JCP G1946, IV, p. 138),à
la fois en ce qui concernait la compétence et en ce qui touchait les pénalités
nouvelles, conformément aux principes régissant les conflits de lois dans le
temps.
138. – Toutefois la loi de 1943 avait laissé leur caractère criminel à
deux hypothèses de corruption, mentionnées par les articles 180 (al. 1er), 181
et 182. Il s'agissait, dans le premier de ces textes, du cas où la corruption
avait pour objet un fait criminel comportant une peine plus forte que
l'emprisonnement (par exemple la corruption tendant à la commission d'un
faux en écritures publiques), et du cas de la corruption passive commise
par des juges ou des jurés à l'occasion d'une décision de justice rendue en une
matière criminelle (art. 181 et 182).
139. – Quant au trafic
d'influence en sa forme passive, la loi
du 4 juillet 1889 avait établi une distinction. Lorsque le
coupable était investi d'un mandat électif, on lui appliquait les peines
frappant la corruption passive des fonctionnaires, et notamment la dégradation
civique ; s'il s'agissait de toute autre personne, la dégradation civique était
remplacée par un emprisonnement de un à cinq ans.
La loi du 16 mars 1943 et l'ordonnance du 8 février 1945
avaient ensuite unifié les situations et puni tout trafic passif d'un
emprisonnement de deux ans à dix ans.
140. – Aux peines principales
qui viennent d'être indiquées, les textes du Code pénal ancien ajoutaient la confiscation
obligatoire des choses reçues par le corrompu, l'interdiction des droits
civiques, civils et de famille, et une amende dont le minimum était de 5 000
F (taux résultant de L. 26 déc. 1956)
et dont le maximum pouvait s'élever au double de la valeur des promesses agréées
ou des choses reçues ou demandées ; ce système du maximum variable selon le
profit espéré ou retiré de l'opération avait d'ailleurs soulevé des difficultés
pratiques fréquentes, la Cour de cassation rappelant aux juges du fond, à peine
de cassation, l'obligation de déterminer la valeur des choses reçues ou demandées
par le corrompu, en indiquant avec précision dans leur décision les éléments de
fait qui leur permettaient de fixer le taux de l'amende prononcée (V. notamment Cass. crim.,
1er févr. 1956 : Bull. crim., n° 120. – 6 févr. 1968
: Bull. crim., n° 37 ; Rev.
sc. crim. 1968, p. 850, obs. A. Vitu).
2 ° Simplicité du système nouveau
141. – Peines principales. - Les
choses se sont maintenant simplifiées. Le nouveau Code pénal a conservé
à la corruption passive et au trafic d'influence passif leur caractère de délits
correctionnels. Mais les deux infractions sont désormais placées sur le
même plan et, pour ce qui est de la corruption passive, il n'y a plus à distinguer
entre les actes de la fonction, de la mission ou du mandat, et les actes
facilités par eux. Dans tous les cas, la personne coupable encourt un emprisonnement
jusqu'à dix ans et une amende pouvant s'élever jusqu'à un million de
francs.
142. – Peines complémentaires. - À ces peines principales peuvent être ajoutées, à titre complémentaire,
les peines suivantes, indiquées par l'article 432-17 :
1) l'interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de
cinq ans au plus;
2) l'interdiction, soit définitive, soit pour une durée de cinq ans au plus,
d'exercer une fonction publique, ou d'exercer l'activité professionnelle ou
sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction
a été commise ; toutefois cette interdiction n'est pas applicable à l'exercice
d'un mandat électif ou de responsabilités syndicales (art. 131-27);
3) la confiscation, au profit du Trésor, des sommes ou des objets irrégulièrement
reçus par l'auteur de l'infraction, à l'exception toutefois des objets
susceptibles de restitution.
143. – La peine complémentaire
de la confiscation avait suscité, sous l'empire de l'ancien Code pénal, un
certain nombre de difficultés dont il est utile de rappeler comment la
jurisprudence les avait abordées et résolues : les solutions que les tribunaux
avaient dégagées gardent leur valeur et pourront guider les commentateurs des
textes actuels.
La confiscation est, ici, aisée à justifier : on veut retirer au
corrompu le bénéfice de son marché immoral mais, en même temps, on ne peut en
opérer restitution au corrupteur, puisque les sommes versées ou les choses
remises en exécution d'une convention contraire à l'ordre public ne sont pas
sujettes à répétition. Le but de la mesure indique en même temps les limites : si
la chose livrée par le corrupteur avait été frauduleusement soustraite ou détournée
au préjudice de son véritable propriétaire, la confiscation doit être écartée
et la chose être rendue à ce dernier (par
exemple les fonds puisés par le corrupteur dans la caisse de la société qu'il
dirige – il y a alors abus de biens sociaux – seront rendus à la société, seule
propriétaire. V. pour une application de cette règle dans l'affaire du scandale
de Panama, (C. assises Seine, 21 mars 1893 : Gaz. trib.
22 mars 1893 ; De Lesseps avait remis au ministre Baïhaut
175 000 francs pris dans la caisse de la société : la somme fut restituée à la
personne morale).
144. – La confiscation ne
peut être prononcée que si la culpabilité du corrupteur ou celle du corrompu
est retenue ; mais, en raison de l'indépendance des infractions de corruption
passive et de corruption active, il suffit de la culpabilité d'un seul pour
justifier la mesure. Si donc le corrupteur, pour une raison quelconque, échappait
aux poursuites ou était acquitté, la confiscation devrait cependant être
prononcée et le corrupteur serait sans droit pour réclamer les choses livrées (Cass. crim., 10 août 1854 : Bull. crim., n° 254 ; DP 1854, 5, p. 200. – Comp.
pour le trafic d'influence Cass. crim., 7 août 1908 :
Bull. crim., n° 348 ; S. 1909, 1, p. 480 ; Gaz. Pal. 1908,
2, p. 383),même
si, par erreur, le tribunal répressif avait ordonné cette restitution (T. civ. Seine, 8 mars 1922 ; Gaz. Pal. 1922,
2, p. 97 et, sur appel CA Paris, 14 mars
1924 : DH 1924, p. 358 ; Gaz. Pal. 1924, 2, p. 86 et, sur pourvoi, Cass. req., 23
févr. 1925 ; S. 1926, 1, p. 289, note L. Hugueney ;
DH 1925, p. 259 ; Gaz. Pal. 1925, 1, p. 569 ; en l'espèce, un tribunal
militaire, en condamnant un officier pour corruption, avait à tort ordonné la
remise au corrupteur des choses qu'il avait versées; à juste titre le tribunal
civil débouta celui-ci de sa demande en restitution, estimant que
l'interdiction de restituer s'imposait même aux juridictions civiles, parce que
motivée par un intérêt supérieur de moralité).
145. – La confiscation ne
porte que sur les choses livrées ou leur valeur (art. 180, al. 4); elle ne peut donc être
ordonnée si les choses ont été seulement offertes ou promises (E. Garçon, op. cit., 2e éd., art. 180, n°
36. – R. Garraud, op. cit., t. IV, n° 1537). La
notion de « livraison » de la chose pose parfois de délicats problèmes : la
jurisprudence l'entend comme synonyme de dessaisissement et, par exemple, elle
admet la confiscation lorsque la somme destinée à la corruption a été saisie
entre les mains du complice du corrupteur
(Cass. crim., 29 mai 1845 : Bull. crim., n° 182 ; S. 1845, 1, p. 678 ; DP 1845, 4, p. 115)
ou entre les mains du corrupteur avant sa tentative de corruption (Cass. crim., 13
déc. 1945 : Bull. crim., n° 145 ; Rev.
sc. crim. 1946, p. 233, obs. L. Hugueney
; en l'espèce le coupable, porteur de rouleaux de pièces d'or dont il
trafiquait, avait dit aux inspecteurs qui l'arrêtaient et saisissaient l'or : « Gardez tout et laissez-moi tranquille. »).
146. – C'est la chose elle-même
que l'on doit confisquer, même s'il s'agit d'un immeuble (Cass. crim., 10 août 1854, préc.). Mais si cette chose ne se retrouve plus en
nature (chèque encaissé, bijoux vendus...), on en confisque l'équivalent
en argent. C'est également la valeur en argent que l'on confisquera, si le
prix de la corruption consistait en des travaux au profit du corrompu, ou en
services effectués à son profit.
B . – Problèmes de
droit pénal de fond
1 ° Complicité
147. – Si la corruption
active et la corruption passive sont des délits distincts, excluant la notion
de complicité dans les rapports réciproques du corrupteur et du corrompu, il
est cependant certain que cette notion est applicable aux tiers, mêlés aux
manoeuvres corruptrices, et dont l'intervention a préparé ou facilité le trafic
de la fonction ou de l'emploi (Cass. crim., 16
nov. 1844 : Bull. crim., n° 376 ; S. 1845, 1, p. 399).
148. – Les cas de complicité
sont loin d'être rares, bien que les décisions judiciaires publiées soient, sur
ce point, peu nombreuses. On citera à titre d'exemples, ceux de la femme d'un
gardien de prison, qui recevait des lettres et de l'argent destinés aux détenus
et les remettait à son mari, qui s'était laissé corrompre par ces détenus (Cass. crim., 21
févr. 1882 : Bull. crim., n° 52 ; S. 1884, 1, p. 351);
- de Blondin qui fut reconnu coupable d'avoir aidé ou assisté le ministre Baïhaut, lors de l'affaire du scandale de Panama, dans les
actes qui avaient préparé ou facilité sa corruption (C. assises Seine, 21 mars 1893 : Gaz. trib. 22 mars 1893);
- d'un individu qui avait remis de l'argent au corrupteur, sachant que la
somme remise servirait à corrompre un inspecteur des contributions
directes (Cass. crim.,
28 mars 1955 : Bull. crim., n° 181);
- d'un individu qui, par l'intermédiaire d'un comparse, avait fait aviser
un marchand forain (à qui avait été refusée peu auparavant une autorisation
de circuler), qu'un employé auxiliaire du ministère de l'intérieur affecté au
service du roulage pourrait lui obtenir l'autorisation moyennant la somme de 15
000 F (Cass. crim.,
11 juill. 1956 : Bull. crim., n° 526 ; JCP G 1956,
II, 9540 ; Gaz. Pal. 1956, 2, p. 120);
- ou enfin celui d'un avocat qui, intervenant dans le pacte convenu entre
corrupteur et corrompu, avait élaboré pour le compte du corrupteur un montage
financier destiné à masquer le versement des prestations occultes prévues par
le pacte et avait, par la suite, donné au corrompu des instructions (Cass. crim., 9
nov. 1995 : Bull. crim., n° 346 ; D. 1996, somm., p. 259, obs. J. Pradel ;
JCP G1996, IV, 513).
2 ° Tentative
149. – En matière de corruption
passive, le problème de la tentative soulevait, avant 1943, d'assez épineuses
difficultés,tenant
à ce que la doctrine n'avait pu préciser exactement à quel moment le crime de
corruption était consommé. Si, avec Garraud, on plaçait
la consommation de l'infraction dans la conclusion du marché illicite, la
tentative de corruption passive n'avait qu'un domaine fort restreint et ne se
concevait guère que dans le cas où le fonctionnaire avait sollicité des offres
ou des présents. Un désistement volontaire du coupable ne pouvait donc
intervenir efficacement qu'à ce stade du trafic de la fonction ; se produisant
après l'accord illicite entre corrupteur et corrompu, il était tardif et donc
inopérant (Comp. R. Garraud,
op. cit., t. IV, n° 1519).
Les solutions étaient différentes
chez les auteurs qui rattachaient la consommation du crime à l'exécution du
marché illicite. Le fonctionnaire corrompu pouvait encore se désister et
s'abstenir de l'acte pour l'accomplissement duquel il avait été payé, échappant
ainsi à toute répression (A. Blanche, op. cit., t. III, n° 416. – A. Chauveau
et F. Hélie, op. cit., t. II, n° 844. – Rép. prat. Dalloz V° Forfaiture, n° 126).
150. – Inutilité de la notion de tentative. - Les difficultés disparurent lorsque la loi du 16 mars 1943 donna une nouvelle rédaction à
l'article 177 (al. 1er) de l'ancien Code pénal. En même temps qu'elle
correctionnalisait la corruption passive, la loi de 1943 décidait que le délit serait consommé,
non seulement par l'acceptation des dons, présents ou promesses, c'est-à-dire
par la conclusion du marché illicite, mais même par la simple sollicitation de
ces dons ou promesses. Il n'y avait donc plus place désormais pour la
tentative punissable, ni non plus, par le fait même, pour un éventuel désistement
volontaire. Cette solution sévère avait été consacrée, à son tour, par
l'ordonnance du 8 février 1945.
L'article 432-11 nouveau du
Code pénal n'a pas remis en question la position acquise en 1943-1945 : comme
sous l'empire du droit antérieur, le délit de corruption passive est immédiatement
et pleinement consommé dès que la personne dépositaire de l'autorité publique,
ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif
public a sollicité,directement
ou indirectement, la remise d'une rémunération ou d'un avantage
quelconque. La même solution s'applique au trafic d'influence en sa forme
passive (Cass. crim., 5 juin 1978, Flochet).
On ne s'étonnera donc pas que
l'article 432-11 soit muet au sujet de la tentative : une allusion faite à cette
notion eût été inutile, et même erronée.
C . – Aspects procéduraux
de la répression
1 ° Exercice de l'action publique
a ) Juridictions compétentes
151. – Nécessité d'une compétence exceptionnelle. - Beaucoup de dossiers de corruption ou de trafic
d'influence sont de modeste envergure ; ils ne mettent en scène qu'un nombre très
réduit de prévenus et ne soulèvent guère de difficultés de fond et de procédure
; les instructions préparatoires et les procédures de jugement les concernant
peuvent être menées à terme en des temps limités, devant les juridictions répressives
ordinaires.
Il en va autrement de
certaines affaires complexes, dans lesquelles la corruption ou le trafic
d'influence se mêlent inextricablement à des détournements de fonds publics,
des abus de biens sociaux, des faux et usages de faux en écriture, des recels, à
travers l'intervention de sociétés étrangères ou françaises parfois fictives et
faisant écran afin de mieux dissimuler les malversations commises.
152. – Juridictions correctionnelles spécialisées. - Pour que soient menées à bien les recherches policières
et judiciaires conduites en pareil cas, la loi
du 1er décembre 1994 a inscrit, à l'article 704, alinéa 1er et -1°, du Code
de procédure pénale, la corruption et le trafic d'influence, sous leurs deux
formes active et passive, dans la longue liste des infractions qui peuvent être
déférées aux tribunaux de grande instance spécialisés pour la poursuite,
l'instruction et le jugement des
infractions commises en matière économique et financière.
On rappellera, à cette
occasion, que la loi précitée du 1er décembre
1994, modifiant le système initialement mis en place par la loi du 6 août 1975, a institué, pour toutes les
infractions énumérées dans la liste de l'article 704, le procédé technique
d'une compétence territoriale concurrente entre la juridiction correctionnelle
de droit commun et la juridiction spécialisée
(CPP, art. 705). De cette façon, lorsque l'affaire (en particulier
s'il s'agit d'une affaire de corruption) paraît l'exiger, il suffit que le
procureur territorialement compétent saisisse, non le juge d'instruction de son propre tribunal, mais directement
celui du tribunal spécialisé.
En outre, en cas de nécessité
et, notamment, en cas de grande complexité de l'affaire, l'instruction peut être confiée, non à un juge agissant
seul, mais à deux magistrats instructeurs, comme l'autorise l'article 50, alinéa 2,
du Code de procédure pénale ; la pratique a déjà fait usage, à plusieurs
reprises, de cette possibilité.
b ) Prescription de l'action publique
153. – Délinquance échelonnée dans le temps. - Si l'on admet que l'infraction de corruption est
pleinement consommée dès que le fonctionnaire a sollicité des dons, des présents
ou des promesses, ne rend-on pas plus difficile la répression en avançant le
point de départ de la prescription ? La difficulté apparaît spécialement dans
le cas d'un pacte délictueux remontant à plus de trois années, mais dont l'exécution
échelonnée se poursuit actuellement : l'activité présente du corrupteur et du
corrompu n'échappe-t-elle pas à l'action publique, au prétexte que l'accord
initial est maintenant hors d'atteinte de la loi pénale ?
154. – Prescription débutant à chaque réitération du délit. - Il n'en est rien. Il convient en effet de remarquer
que, par leur libellé, aussi bien l'ancien article 177 (al. 1er) que
l'actuel article 432-11, attachent équivalemment la qualification de corruption
consommée à la sollicitation d'une rémunération, à l'acceptation d'offres ou de
promesses, et à la réception de dons, de présents ou d'avantages quelconques : ces
divers moments, qui peuvent être séparés dans le temps par des intervalles plus
ou moins longs, caractérisent tous identiquement l'accomplissement de la
corruption; à chaque manifestation de la volonté coupable, le délit se consomme
à nouveau complètement.
Cette solution ne contredit
nullement l'affirmation, toujours exacte, que la corruption de personnes chargées
d'une fonction publique est une infraction instantanée : à chaque acte
nouveau un délit instantané de corruption s'accomplit, mais un délit
s'inscrivant dans un tissu de relations coupables ; comme le dit la Cour de
cassation, « des délits successifs se
sont renouvelés aussi longtemps qu'a existé le concert frauduleux » (Cass. crim., 6
févr. 1969 : Bull. crim., n° 67 ; JCP G 1969, II, 16004,
note P. Chambon ; Rev. sc. crim.
1969, p. 871, obs. A. Vitu. – 13 déc. 1972 : Bull. crim., n° 391 ; Gaz. Pal. 1973, 1, somm.
p. 94. – 9 nov. 1995 : Bull. crim., n° 346 ; D. 1996, somm. p. 259,
obs. J. Pradel ; JCP G 1996, IV, 513. – 27 oct. 1997, aff. Carignon :
préc. n° 90).
c ) Constatations judiciaires
155. – Nécessité de constatations judiciaires précises. - Les problèmes posés en jurisprudence par les
constatations judiciaires relatives aux divers éléments de la corruption de
fonctionnaires et de personnes assimilées sont rares. Il est de règle, ici comme
ailleurs, que la décision de condamnation doit constater l'existence des
différents éléments de l'infraction et qu'une insuffisance des motifs entraînerait
à cet égard la cassation de l'arrêt attaqué. L'emploi de termes sacramentels ne
s'impose évidemment pas (Cass. crim., 2
janv. 1818 : Bull. crim., n° 3. – 18 juill. 1889 : Bull.
crim., n° 260 ; S. 1890, 1, p. 287 ; DP 1889, 1, p. 385).
156. – Constatation de la qualité du coupable. - En particulier, il importe de préciser la qualité de
la personne corrompue, puisque les textes énumèrent limitativement les
fonctions dont le trafic tombe sous le coup de l'article 432-11 et, autrefois,
sous les coups des articles 177, alinéas 1er à 3, 178 et 179 (Cass. crim., 13 juill. 1951 : Bull.
crim., n° 210).
Mais il est hors de doute
qu'une erreur serait sans gravité si, par exemple, elle avait pour effet de
qualifier « personne dépositaire de l'autorité publique » celui qui est
seulement une « personne chargée d'une mission de service public », ou vice
versa, puisque ces diverses qualités sont mises sur le même pied pour la répression.
157. – Constatation de la nature des actes délictueux. - La décision de condamnation doit, d'autre part, établir
exactement la nature des actes au trafic desquels tendaient les manoeuvres
corruptrices. Il ne s'agit pas tellement de distinguer les actes de la fonction
et les actes facilités par elle, puisque l'actuel article 432-11 les a mis sur
le même plan (à la différence de ce que
faisait l'article 177), mais surtout de bien séparer les actes de la
fonction ou facilités par elle, des actes qui sont totalement en dehors de
cette fonction et non facilités par elle, et qui par conséquent ne peuvent pas
relever du texte réprimant la corruption
(Cass. crim., 3 nov. 1933 : Bull. crim., n° 200 ; DH 1933, p. 573 ; Gaz. Pal. 1933, 2, p. 972.
– 7 sept. 1935 : Gaz. Pal. 1935, 2, p. 694. – 13 déc. 1945 : Bull. crim., n°
145. – 13 juill. 1951 : Bull. crim., n° 210.
– 19 févr. 1953 : Bull. crim., n° 59 ; D. 1953, jurispr. p. 284).
158. – Constatation de l'existence d'offres. - Les offres faites ou sollicitées doivent, dans les arrêts
ou jugements, être précisées à un double point de vue. D'abord, en ce qui
concerne leur nature, puisque seul l'avantage obtenu ou espéré en vue de
l'accomplissement ou de l'abstention d'un acte de la fonction ou facilité par
elle, entre dans les prévisions légales et que la simple commisération ou pitié
inspirée, ou les prières faites, échappent à la répression (Cass. crim., 13 déc. 1945, préc. – 10 juin 1948 : Gaz. Pal. 1948, 2, p. 35). Ensuite,
en ce qui concerne leur antériorité par rapport à l'acte ou l'abstention
sollicitée (Cass. crim., 19 févr. 1953, préc. – 6 févr. 1968 : Bull. crim., n° 37 ; Rev. sc. crim.
1968, p. 850, obs. A. Vitu).
159. – Existence de l'intention. - Quant à l'intention frauduleuse, elle n'a pas à être établie expressément,
puisque, ainsi qu'on l'a dit déjà, elle résulte implicitement de la réunion des
autres éléments constitutifs de l'infraction
(Comp. pour le trafic d'influence Cass. crim., 26
nov. 1927 : Bull. crim., n° 274 ; DH 1928, p. 6 ; S. 1929,
1, p. 236).
Les juges du fond apprécient
d'ailleurs souverainement l'existence de cette intention, à la condition
toutefois de ne pas contredire les énonciations de fait contenues dans leur décision.
Une relaxe, motivée par un doute sur l'existence de l'intention frauduleuse, ne
se justifierait pas si, d'autre part, la juridiction correctionnelle constatait
la remise de dons à un fonctionnaire pour obtenir un acte de la fonction (Cass. crim., 5 mai 1899 : Bull. crim., n° 112. – 14 janv. 1949 : Bull. crim.,
n° 9 ; JCP G 1949, II, 4866, note A. Colombini ; D. 1949,
jurispr. p. 96. – 7 janv. 1949 : Bull. crim., n° 229).
2 ° Exercice de l'action civile
160. – Hésitations concernant la recevabilité de l'action civile. - L'action en justice d'une victime réclamant des dommages-intérêts est-elle concevable en matière de
corruption ou de trafic d'influence ? On peut légitimement en douter. En effet,
ces infractions n'appartiennent-elles pas au groupe des délits qui ne
provoquent qu'un préjudice social,exclusif de tout dommage matériel ? Qui, d'ailleurs,
pourrait exercer une action en dommages-intérêts en
pareil cas ? Le corrupteur, déçu de n'avoir pas obtenu, contre la somme versée,
la prestation promise par le fonctionnaire corrompu ? Ou l'individu à qui l'on
avait proposé de monnayer une influence qui s'est révélée inefficace ? Ou bien
encore la personne investie d'une fonction publique qui, après avoir accompli
l'acte qu'on sollicitait d'elle, se plaint de n'avoir pas reçu la rémunération
attendue ? L'origine immorale du préjudice allégué devrait, semble-t-il, conduire
au rejet de toute réclamation d'une indemnisation.
161. – Recevabilité de l'action civile des tiers. - Pourtant, la réponse à la question posée doit être
nuancée, et les quelques décisions jurisprudentielles publiées invitent à la réflexion.
Il paraît normal qu'un tiers,
totalement étranger au pacte de corruption, puisse invoquer le préjudice matériel
et moral que lui causent les conséquences de ce contrat délictueux. Ainsi un
office public d'HLM a pu être déclaré recevable à exercer l'action civile, dans
une poursuite pour infraction à l'article L. 423-11 du Code de la construction
et de l'habitation (texte identique C.
pén.,
art. 432-11), en raison de l'atteinte à sa notoriété qu'avaient causé les
agissements de son directeur et de la secrétaire de celui-ci (Cass. crim., 21
mai 1997, cité supra, n° 54).
Situation sans doute
exceptionnelle, la chambre criminelle a admis la recevabilité de l'action
civile d'un contribuable victime des exigences pressantes d'un fonctionnaire du
fisc qui avait exigé et obtenu de lui la remise d'une somme d'argent en
contrepartie d'une diminution des majorations de retard dont il était redevable
: la contrainte exercée sur le contribuable avait paru assez puissante pour
qu'il fût considéré comme innocent de l'imputation de corruption active qui
pouvait peser sur lui et pour qu'on pût le regarder
comme une victime admise à agir en se constituant partie civile (Cass. crim., 1er
déc. 1992 : Dr. pén., 1993, comm. n° 126, obs. M. Véron).
162. – À l'inverse, a été déboutée
de son action la personne qui avait participé au concert frauduleux sans
avoir subi aucune pression. La solution a été affirmée spécialement à propos du
trafic d'influence (Cass. crim., 13
juin 1978 : Bull. crim., n° 194).Mais cette
solution ne peut être acceptée que si l'on distingue clairement la recevabilité
de l'action civile et son bien-fondé. En accord avec la jurisprudence bien
connue de la chambre criminelle qui admet à agir en justice, malgré l'indignité
de sa situation, la personne qui a participé à l'infraction dont elle se plaint
ensuite (Cass. crim.,
7 juin 1945 : D. 1946, jurispr. p. 149, note R. Savatier ; JCP G 1946, II, 2955, note J. Hémard ; RID pén. 1946, p. 73,
note L. Hugueney. – 3 juill. 1947 : JCP G 1948, II, 4474,
note J. Carbonnier. – 15 juill. 1948 : JCP G 1948,
II, 4488. – 7 juin 1952 : JCP G 1952, II, 7074, rapport J. Brouchot),
on devrait affirmer qu'est recevable à mettre en mouvement des poursuites,
par sa constitution de partie civile, la personne qui a participé à un pacte de
corruption ou à un trafic d'influence, – mais que cette déclaration de
recevabilité, ne préjugeant pas de la solution à donner au bien-fondé de
l'action exercée, laisse la juridiction répressive libre de rejeter, au fond,
la demande de dommages-intérêts portée devant elle,
en raison de la situation immorale ou illicite de la victime qui s'est associée
volontairement à l'infraction de corruption ou de trafic d'influence. Le droit
de se constituer et celui d'obtenir réparation doivent être nettement dissociés.
Sous cette réserve, la solution donnée par l'arrêt du 13 juin 1978 peut être
retenue.
À signaler enfin qu'a été débouté
de son action civile le contribuable d'une commune qui voulait agir contre le
maire, en imputant à celui-ci des faits de détournement de fonds et de
corruption dont il soutenait qu'ils allaient lui causer un dommage éventuel en
raison de l'augmentation des impôts communaux
(Cass. crim., 25 oct. 1934 : Bull. crim., n° 169).
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